Les face-à-face de l’hexagone

France • Les événements du 1er mai dernier font état d’importantes divisions, y compris à gauche. Reportage sur le terrain.

Capture d'écran du média QG sur les échauffourées parisiennes en tête de manifestation du 1er Mai. (Quartier Général)

A Lyon samedi matin, environ 5000 personnes se sont mobilisées pour battre le pavé à l’occasion du 1er mai. Avant le départ, une manifestante nous fait part de son désespoir. «Cela fait depuis 2016 – contre la loi travail de l’ex-gouvernement socialiste – que l’on manifeste d’un point A vers un point B, puis on rentre chez nous et rien ne s’améliore», affirme-t-elle. Et regrette une certaine apathie du plus grand nombre. Alors qu’elle piétine depuis trois quarts d’heure, la foule s’interroge pour comprendre ce qui l’empêche d’avancer. A l’avant, on voit monter ce qui est tantôt décrit comme des fumigènes, tantôt comme des lacrymogènes. Autour de nous, si plusieurs blocs se dessinent, les slogans repris en choeur, unissent, rappelant qu’ici «nous sommes tous.toutes des antifascistes», «fières, féministes et en colère», «anticapitalistes» et appelant à la «solidarité avec les sans-papiers».

Tensions

Près de deux heures de marche plus tard, alors que le cortège arrive à destination aux abords de la Place Bellecour, des militant.e.s s’élancent en courant, des informations faisant état de «fachos» prêts à en découdre à l’avant. Arrivés sur place, nous n’en saurons pas davantage, une pluie de lacrymogènes et de grenades assourdissantes ayant mis un terme à la manifestation.

Repoussée par le gaz, une partie de la foule rebrousse chemin dans l’intention de quitter les lieux, un bataillon de policiers lui barre la route, semblant craindre d’avoir affaire à un départ en cortège «sauvage». Au premier rang de l’attroupement formé, on assiste à un face-à-face tendu entre police et population. «C’est absurde! On veut juste rentrer chez nous. Pourquoi nous empêcher de passer alors que nous ne faisons rien de mal?», lance un citoyen au policier contre lequel il est collé par la force des choses. «Vous payez pour ceux qui ont foutu le bordel (sic)», lui rétorque l’agent. Sans que visiblement personne ne comprenne.

Tandis que nous sommes autorisés à circuler au compte-gouttes, un militant du PCF montre une vidéo sur smartphone. Elle révèle pourquoi le cortège a tant piétiné au départ et de quoi relèverait le «bordel» en question. On y voit des charges policières violentes sur le groupe de tête, qui remontent jusqu’au bloc de la Confédération générale du travail (CGT) que son Service d’ordre protège (SO).

Affrontements

D’après la section CGT des livreurs.euses d’UberEats et Deliveroo de Lyon, des manifestants cagoulés en proue de la manifestation, n’indiquant aucune appartenance à une organisation, et munis de bâtons auraient interpellé des militants cégétistes, Ces derniers leur demandaient de ne pas jeter de projectiles à proximité du cortège ou sur la police. Ceci dans la mesure où le syndicat «n’aurait rien à gagner» à une charge policière et de la situation irrégulière de certains de ses camarades. «On n’en a rien à foutre de tes collègues sans-papiers!», auraient lancé les individus cagoulés avant d’en venir aux mains. Toutefois, d’autres témoignages évoquent une situation de grande violence policière face à laquelle les syndicalistes se seraient soudainement confrontés, laissant le champ libre, plus ou moins volontairement selon les récits, aux forces de l’ordre pour encercler la tête du cortège. Ce sentant trahis, certain.e.s membres des premières lignes se seraient alors retournés contre le syndicat et son SO, aux cris de «CGT collabos!», avant d’aller à l’affrontement.

C’est loin d’être la première fois que des tensions éclatent entre le SO cégétiste et des manifestant.e.s du bloc de tête. Le plus souvent elles naîtraient du fait que le SO ne laisse pas refluer ces dernier.ère.s à travers ses rangs à la suite de charges policières, comme nous l’explique une manifestante. Ces tensions semblent également relever de divergences d’approche du concept de manifestation et de ses buts.

En fin de journée, on apprend sur les réseaux sociaux que des affrontements similaires se sont produits à Nantes et Paris. Dans la capitale, les choses se seraient déroulées de façon comparable à ce qu’il s’est passé à Lyon, avec un arrêt du bloc syndical laissant libre cours aux coups de matraque et aux arrestations. Sur des images du reporter du média Quartier général, Adrien AdcaZz, on découvre qu’au moment où le cortège approche de la Place de la Nation, la CGT s’arrête laissant la tête du mouvement seule alors que la police charge de toute part. «On est en train de supprimer tous vos acquis sociaux… venez vous battre!», hurle un manifestant au SO. Un peu plus tard, alors que militant.e.s autonomes et syndicaux s’invectivent, la police en profite pour mener une interpellation.

L’action donne l’impression que le SO a fait preuve là encore de complicité. Et ce d’autant plus que celui-ci tient en mains matraques et bombes lacrymogènes grand format. Il n’en faudra pas plus pour que tout ce petit monde en vienne aux mains. Ceci après un échange de «Fachos!», «Non c’est vous les fachos!». Certain.e.s se mettront à hurler «A mort les syndicats!» (Line Press). Bilan des violences, la CGT déplore 21 blessés dont 4 graves. En face, aucun décompte ne permet d’évaluer les conséquences de ces coups portés entre manifestant.e.s et SO.

Divergences

Pour le Secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, ces violences verbales et physiques, «ça ressemble beaucoup à l’extrême-droite» (Public Sénat). S’il est vrai que l’on voit parfois de petits groupes aux slogans douteux en tête de manifestation, une telle analyse fait fi d’une division bien de gauche. En effet, la méthode du défilé en rangs «entre A et B», comme mentionnée en début de journée, n’inspire plus d’espoir face à un pouvoir que rien ne semble faire reculer. Ce qui entraîne, année après année, un gonflement des blocs de têtes à la stratégie plus offensive, voire carrément violente envers une police qui mutile.

Cette divergence entre adeptes des «émeutes» et des défilés «folkloriques» n’augure rien de bon pour la gauche. Cela d’autant plus qu’à un an des élections présidentielles, ses partis s’écharpent eux aussi. Le secrétaire national du PCF Fabien Roussel est allé jusqu’à prêter à la France Insoumise, une philosophie digne de «l’époque soviétique» dans sa volonté de faire de l’État un employeur en dernier ressort pour lutter contre le chômage (Marianne). Des lignes de fracture qui devraient continuer à nourrir le Rassemblement National, premier parti de France, l’abstention, et l’escalade de la violence. Pendant ce temps, l’extrême-droite appelle de façon à peine déguisée et répétée à la guerre civile..