Un plan d’action national contre les violences domestiques

La chronique féministe • Surtout, il faut éduquer à la notion de genre depuis l’enfance, réviser les relations de nos sociétés à la virilité et à la violence, afin de transformer les rapports de genre et d’oeuvrer au respect des un-e-s et des autres.

instances politiques prennent ce sujet au sérieux! La Suisse sera décidément toujours en retard sur les questions sociales: droit de vote des femmes, égalité, congé maternité, dépénalisation de l’avortement, congé parental, crèches, mariage pour tous.tes, statut des danseur.ses et comédien.ne.s, pour ne citer que celles-ci. Comme pour les fonds en déshérence, on a le sentiment que la Suisse se voit comme irréprochable. Tout va très bien, Madame la marquise, circulez, il n’y a rien à voir…

On commence par nier le problème, on cache la poussière sous le tapis, et tout reste «propre en ordre». Mais les statistiques rattrapent les plus aveugles et les plus sourd.e.s. Oui, en Suisse aussi, le sexisme existe, ainsi que l’inceste, le harcèlement, le viol, la violence conjugale… Au lieu d’écouter les victimes et d’empoigner le problème au début, de voir ce que font les autres pays, on pédale dans la semoule, en queue du peloton, et on croit inventer l’eau chaude en proposant quelques menues mesures. La Suisse est indécrottablement inefficace, que ce soit dans ses discussions avec l’UE, les excès du système bancaire, l’attitude officielle pendant la deuxième Guerre mondiale, le soutien aux familles, la protection des plus faibles…

Mais c’est indéniablement une bonne nouvelle qu’une conseillère fédérale, de surcroît PLR, se préoccupe des femmes qui subissent la violence de la part de leur conjoint. C’est aussi une bonne nouvelle qu’elle collabore avec les représentant.e.s des cantons pour mettre au point un plan d’action national. Cela permettra peut-être d’avancer sur ce dossier brûlant. Rappelons ces chiffres honteux: selon le Bureau fédéral de l’égalité, en Suisse, une personne meurt toutes les 2 semaines des conséquences de la violence domestique, 25 par an en moyenne, dont 4 enfants (entre 2009 et 2019).

Durant la même période, 16 hommes ont été tués par leur conjointe, soit 8,5 fois moins. En outre, on enregistre une tentative d’homicide chaque semaine (50 personnes annuellement en moyenne). En 2020, quelque 20’000 infractions relevant des violences domestiques ont été enregistrées, et 28 personnes ont perdu la vie. Les chiffres ne montrent cependant que la partie immergée du problème. 80% des incidents ne sont pas déclarés. En Suisse, une femme maltraitée sur quatre est refusée dans les foyers, par manque de place, selon une étude. La moitié des personnes cherchant de l’aide doivent être redirigées vers d’autres structures. Une situation due à plusieurs facteurs, notamment aux difficultés financières des victimes, qui peinent à trouver un logement propre.

«L’union fait la force.» C’est le leitmotiv qui guide la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter (KKS), cheffe du Département fédéral de justice et police, en matière de lutte contre les violences domestiques. Vendredi 30 avril, les acteurs.trices concerné.e.s de la Confédération, des cantons et de la société civile se sont réuni.e.s, à son initiative, pour présenter une feuille de route qui vise un objectif: mieux protéger les victimes de violences au sein du foyer, femmes, hommes ou enfants. Très engagée sur le sujet des violences domestiques depuis son mandat de conseillère d’État à Saint-Gall en 2003, KKS réaffirme aujourd’hui sa volonté de développer une politique coordonnée à l’échelle nationale. Elle envisage l’instauration d’une ligne téléphonique unique disponible 24h sur 24h. «Aujourd’hui, chaque canton dispose d’un numéro d’urgence, pas toujours accessible», déplore la ministre, soulignant néanmoins que la police reste disponible en tout temps. L’introduction du bracelet électronique à l’échelle nationale est prévue pour 2023.

«L’utilisation des nouvelles technologies à elle seule ne permettra toutefois pas de résoudre le problème de la violence domestique», a relevé Fredy Fässler, le président de la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police. «Il faut une approche interdisciplinaire et coordonnée au niveau national», a abondé Sylvie Durrer, directrice du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes.

La Suisse pourrait s’inspirer de l’Espagne, en pointe en matière de lutte contre les «violences machistes». Qu’il s’agisse de «téléphones rouges», de tribunaux dédiés aux affaires de violences conjugales, où les juges ont 72 heures pour instruire chaque dossier, une série d’aides gratuites leur apportant un soutien juridique, économique et psychologique, une formation obligatoire pour les personnels en contact avec les femmes victimes de violences personnelles (magistrats, médecins, forces de l’ordre).

Les journaux dominicaux ont analysé en détail les 15 féminicides qui ont eu lieu en 2018. Il en ressort que la séparation conjugale est le moment le plus dangereux pour le couple, les hommes passant à l’acte quand ils ont l’impression que tout est perdu, que leur compagne va retrouver sa liberté. La lecture de ces 15 cas indique également que certains hommes ne se contentent pas de tuer, ils s’acharnent sur leur victime. Quant au profil des meurtriers, «les chiffres montrent que 98% des féminicides conjugaux sont commis par des auteurs d’emprise (majoritairement des pervers)», indique la psychiatre Alessandra Duc Marwood. Ils sont l’aboutissement d’une série de signes qui annoncent le drame. Pour éviter ces féminicides, la psychiatre plaide pour une tolérance zéro au niveau pénal pour leurs auteurs. «La punition est souvent la seule chose qu’ils comprennent». Ce principe est appliqué dans la loi sur la circulation routière. Pourquoi pas dans le domaine de la violence domestique? Il faut une «Via sicura de la violence conjugale».

Surtout, il faut éduquer à la notion de genre depuis l’enfance, réviser les relations de nos sociétés à la virilité et à la violence, afin de transformer les rapports de genre et d’oeuvrer au respect des un-e-s et des autres. L’ensemble de la société doit tenir le même discours, agir dans le même sens.

Les violences faites aux femmes sont un sujet récurrent des féministes lors des cortèges du 1er Mai et de la Marche mondiale des femmes. Même si les autorités commencent à bouger, le chemin est encore long…