Disparition d’un regard transdisciplinaire

Chili • Le décès du biologiste, philosophe et cybernéticien Humberto Maturana Romesín est celui de l’un des scientifiques les plus importants du 20e siècle. Il était une figure emblématique de la critique du rationalisme moderne. (Par Andres Kogan Valderrama)

Son regard a donc toujours été transdisciplinaire, post-rationaliste et très critique à l’égard des conceptions réductionnistes du monde issues de la science objectiviste et des philosophies anthropocentriques. (Rodrigo Fernandez)

Dans les années 70, ses recherches avec Francisco Varela l’ont amené à construire la théorie de l’autopoïèse, qui aurait pu lui valoir le prix Nobel. Elle soulève l’idée révolutionnaire que les systèmes vivants se produisent eux-mêmes, mettant en échec l’idée d’objectivité de la science et celle d’autonomie de la raison.

En ce qui concerne son influence, sa contribution à différents domaines de la connaissance a été cruciale, tels que l’éducation, la communication, la cybernétique, l’anthropologie, la sociologie, la psychologie et les sciences de la vie. Parmi tant d’autres, les auteurs Niklass Luhmann, Vittorio Guidano, Gregory Bateson, et Fritjof Capra ont soulevé combien ses contributions ont été fondamentales pour le développement d’un constructivisme radical, remettant en question les dualités modernes traditionnelles, telles qu’objet-sujet, corps-esprit, raison-émotion, santé-maladie, culture-nature.

L’empathie comme horizon

Son regard a donc toujours été transdisciplinaire, post-rationaliste et très critique à l’égard des conceptions réductionnistes du monde issues de la science objectiviste et des philosophies anthropocentriques. Ce n’est pas pour rien que son développement d’une biologie de la connaissance et de l’amour dans les dernières années de sa vie, en étroite collaboration avec Ximena Dávila à l’Instituto de Formación Matríztica, a sans cesse cherché à se situer depuis un paradigme relationnel et amoureux, où l’empathie, l’attention, la réflexion détachée des certitudes, la confiance et la coexistence démocratique ont été ses horizons jusqu’au jour de sa mort.

De même, il est impossible de ne pas mentionner sa référence majeure que fut sa mère, Olga Romesín d’origine aymara. Avec elle, il apprendra que la chose la plus importante dans la vie est de collaborer et de partager en communauté. C’est pourquoi il critique fortement le fondamentalisme des grandes idéologies totalisantes, prétendument libératrices. Dans la pratique, elles dériveraient en de simples doctrines qui ont rendu impossible la réflexion et la bonne coexistence.
C’est depuis cet endroit que Maturana a toujours exprimé sa critique des modèles politiques centrés sur la compétition. Cela dans la négation de l’autre, à travers le racisme, le sexisme, le classisme, et un détachement complet de la Terre Mère, comme si nous étions les seuls êtres vivants. En résulte une crise climatique mettant en danger les conditions minimales de vie sur la planète.

Piège de la compétition

Ce n’est donc pas une coïncidence si, lors du sursaut social d’octobre 2019 au Chili, qui se traduira par une révolte populaire historique dans le pays et un processus constituant sans précédent, Maturana déclare: «Ce sursaut social a été comme une plainte de n’être pas vu. Parce que l’État ne remplissait pas son engagement fondamental de veiller au bien-être de l’ensemble de la communauté. Et cela a trait avec le contexte de cette culture centrée sur la compétition».
Il s’agit de l’une des dernières réflexions de Maturana sur ce qui se déroulait dans son pays avant sa mort. Elle est pleinement en phase et entrelacée avec ce que les différents mouvements sociaux chiliens – féministes, indigènes, socio-environnementaux, régionaux, étudiants – ont soulevé: Ceci comme une critique du modèle néolibéral et du fondamentalisme du marché imposés par la dictature et approfondi au cours des 30 dernières années. Mais aussi dans la recherche d’un nouvel État et d’une nouvelle société, axés sur la collaboration et la confiance