La «gauche» à la sauce brune de Mette Frederiksen

Danemark • Les sociaux-démocrates mènent depuis 2016 une politique aussi droitière qu’inopérante envers les migrants, tout en donnant des gages en matière environnementale et sociale. Une stratégie qui les conforte électoralement. (Par Gaël De Santis, Paru dans L’Humanité)

Il est fini le temps où le social-démocrate Poul Nyrup Rasmussen, ex-premier ministre danois, pouvait dire des députés d’extrême droite du Parti du peuple danois (DF) qu’«ils ne feront jamais partie de la bonne compagnie». On était dans les années 1990. En 2001, Poul Nyrup Rasmussen et sa politique néolibérale ont été battus. De cette date et jusqu’en 2019, à l’exception de la parenthèse 2011-2015, la droite a gouverné avec l’appui parlementaire du Parti du peuple danois (DF), formation d’extrême droite qui a monnayé son soutien en échange d’une politique anti-immigrés. Cet assemblage a légitimé les idées de refus de l’accueil auprès de larges couches de la population.

Plutôt que de combattre les idées du Parti du peuple, le Parti social-démocrate a rendu les armes. Après la défaite de 2015 et le retour à l’opposition, «Mette Frederiksen a pris la tête du Parti social-démocrate. Elle a décidé d’enjamber le centre pour aller prendre des voix au Parti du peuple danois», explique l’expert en questions migratoires Hans Rohleder. La crise migratoire de 2015, avec l’arrivée de réfugiés syriens, a conforté Frederiksen dans son choix de soutenir le principe «zéro demandeur d’asile» des conservateurs au pouvoir. Les sociaux-démocrates ont voté plusieurs lois en ce sens. Ainsi, depuis 2016, un texte permet de saisir les biens et bijoux de plus de 10000 couronnes (1300 euros) des réfugiés arrivant sur le territoire danois. Depuis qu’elle est première ministre en 2019, Mette Frederiksen poursuit cette politique.

En même temps, elle a imprimé un virage à gauche, en donnant des gages en matière environnementale et sociale. L’agenda néolibéral des années 1990 semble avoir été abandonné, avec un retour, au moins en paroles, à la défense de l’État social et des droits des syndicats. Cela permet au Parti social-démocrate de voler à un haut niveau dans les sondages, au-dessus de 30% (contre 25% lors des législatives de 2019). Cela paralyse le reste de la gauche qui, même si elle ne partage pas la politique de Frederiksen en matière de droit d’asile, refuse de faire tomber le gouvernement.En attendant, le score du Parti du peuple danois, réduit à 9% lors des législatives de 2019, n’a perdu que deux ou trois points dans les sondages depuis et les mauvais coups s’abattent sur les migrants: les règles de regroupement familial ont été rendues plus strictes l’an dernier; la loi sur les ghettos est en voie de durcissement; et désormais l’exécutif veut que les réfugiés syriens retournent sous les bombes à Damas. Mais certains maires sociaux-démocrates, peu nombreux, commencent à prendre position pour une politique migratoire plus accueillante.