Une loi CO2 controversée

Suisse • Si les lobbyistes pétroliers comme Avernergy suisse ou l’UDC s’opposent à la loi CO2 soumise au vote le 13 juin, la gauche de la gauche veut aussi faire entendre son opposition.

«Si la loi est rejetée, nous perdrons des années cruciales dans la lutte contre la catastrophe climatique», estime le parti socialiste, qui appelle à voter pour la nouvelle loi sur le CO2. Celle-ci doit permettre de réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre de la Suisse d’ici 2030 et pose des jalons en vue de la réalisation de l’objectif de zéro émissions net pour 2050. Même tonalité chez les Verts, qui mettent avant le renforcement des mesures actuelles dans le bâtiment et pour les véhicules et le trafic aérien. «De plus, elle crée un fonds pour le climat, qui financera par exemple des trains de nuit supplémentaires, évitant ainsi des vols courte distance climaticides et absurdes. Elle planifie aussi la fin programmée des chauffages à mazout dès 2023 lors de remplacement de chauffage», estiment-ils.

«D’autres étapes seront ensuite nécessaires. Nous comptons déjà sur la mise en oeuvre de notre plan climat, le contre-projet de l’initiative des glaciers ou la révision de la loi sur l’énergie», souligne la conseillère nationale genevoise, Delphine Klopfenstein Broggini. A leurs côtés, une kyrielle d’associations environnementales ou non comme HabitatDurable, l’ATE, Actif-trafiC, Pro Natura Greenpeace, Alliance Sud, l’Union des villes suisses ou de syndicats comme le SEV, Syndicom ou même l’Union syndicale suisse (USS).

Une loi qui manque d’ambitions

«Les partis sont en train de prendre conscience de l’urgence climatique. Mais si l’on prend la direction de cette loi CO2 anti-sociale et qui manque d’ambitions, on va droit dans le mur», prévient Anaïs Timofte, présidente du POP Vaud, qui comme le PST-POP, s’oppose au nouveau texte. Et de rappeler que l’échéancier de la loi ne permettra pas d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris (2015) ratifiés par la Suisse. Ceux-ci ambitionnent de maintenir l’augmentation de la température mondiale à un niveau bien inférieur à 2 degrés C° par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts pour limiter encore davantage l’augmentation de la température à 1,5 degré C°.

«Pour y arriver, il faudrait atteindre la neutralité carbone dès 2030, aller plus rapidement et être plus drastique notamment avec les gros pollueurs industriels, qui dans l’ancienne Loi fédérale sur la réduction des émissions de CO2 (2001), ont déjà des passe-droits, qui leur permettent de recourir au marché des certificats d’émission de CO2. Dans la nouvelle loi, ces compensations à l’étranger vont encore s’étendre sur la Bourse du carbone. Il n’a aussi aucune obligation pour limiter les investissements du secteur financier dans l’énergie fossile, alors qu’entre les banques privées, la BNS et les caisses de pension suisses, la place financière pollue vingt-deux fois plus que la population. Finalement, les grandes entreprises qui ont les moyens financiers de polluer ne seront pas inquiétées, tandis que le coût de la crise climatique sera reporté sur ceux qui polluent le moins, à savoir les plus pauvres», précise-t-elle.

Des taxes anti sociales

Et de sérier différents problèmes, notamment l’augmentation de la taxe sur les carburants, le mazout (correspondant à 0,55 franc le litre de mazout contre 0,25 franc payé actuellement) ou les billets d’avion, avec la mise en place dans ce secteur d’une flat-tax «incitative» de 30 à 120 francs sur les vols. «Toutes ces taxes vont frapper les travailleurs, les locataires et les caisses les plus précarisées. La redistribution pour moitié aux ménages et dans un fonds vert pour le climat censé financer le développement des énergies renouvelables ou l’adaptation au réchauffement climatique, ne la convainc pas. «Tout ceci n’a rien de nouveau. L’ancienne Loi sur la réduction des émissions de CO2 inclut déjà des remises de 50 à 60 francs annuels sur l’assurance-maladie, ce qui est déjà problématique du point de vue du lien organique entre les deux. Mais la ristourne aux ménages proposée par la Loi CO2 est loin d’être suffisante», explique-t-elle.

Le parti veut-il favoriser le transport aérien, responsable selon le WWF de pas moins de 27% d’impact climatique en Suisse et qui ne paie aucune taxe sur le kérosène? «Les plus gros pollueurs aériens sont le fait de la classe la plus aisée, alors que de nombreux travailleurs et travailleuses ne voyagent que rarement à l’occasion d’une visite annuelle à leur famille», rétorque Anais Timofte. Elle défend plus généralement une transformation de la mobilité. Ceci avec l’instauration de la gratuité des transports publics, la mise en place de lignes ferroviaires en nombre, notamment des trains de nuit pour relier les capitales européennes les plus proches. Sans oublier la réduction du trafic automobile privé. «Il faut sérieusement s’attaquer aux enjeux de la mobilité, en favorisant les transports en commun, en les rendant plus attractifs et moins polluants», résume-t-elle.

En ce qui concerne l’isolation thermique des bâtiments, les propriétaires (souvent des grandes sociétés immobilières) auront le choix de répercuter le prix des travaux sur des loyers déjà élevés. Les mêmes propriétaires se verront redistribuer le produit des taxes, sans aucune contrepartie, alors que les locataires paieront le prix de l’augmentation des combustibles si leur propriétaire n’engage pas de travaux d’assainissement.

«Ne pas lâcher la pression»

En cas de refus de la loi, le paysage de la lutte contre le réchauffement climatique ne sera-t-il pas une morne plaine. «Il est clair que l’on entend beaucoup la voix des lobbies patronaux et du pétrole, mais un non de gauche peut aussi faire évoluer la situation. Les grèves romandes pour le climat, qui s’opposent aussi à la nouvelle loi continuent de mobiliser et elles ne vont pas relâcher la pression. La population montre aussi une vraie préoccupation pour préserver la planète ou la biodiversité. Même si la convergence d’intérêts entre les partis gouvernementaux pour faire passer cette loi est forte, il ne faut pas lâcher et faire aussi entendre aussi un non de gauche à cette mauvaise loi», conclut-elle.