Je prends des vacances!

La chronique féministe • Si les négociations s’étaient déroulées en faveur de la Grèce, Syriza serait resté au pouvoir pendant 10 ans (au lieu de 4, il fut remplacé en 2019 par Kyriákos Mitsotákis, de la droite ND).

Je prends des vacances! Je pars en Grèce du 1er au 23 juin, sur l’île de Skyros, dans une pension-restaurant au bord de la mer, que j’ai découverte en 2005. Mais je n’y suis pas retournée depuis 2010. Un bar s’était installé juste à côté et diffusait de la musique «boum-boum» de 10h à 3h du matin, le paradis s’était transformé en enfer! Le premier jour de l’invasion sonore, je suis allée demander qu’on baisse le son, inutile de dire qu’on m’a envoyée dans les cordes. Leur but était d’attirer autant de client.es que possible, donc de monter les décibels au maximum. J’adore la Grèce et les Grec.ques, mais leur tolérance au bruit m’a toujours étonnée. Parmi la douzaine de touristes qui logeaient chez Thomas figurait un Allemand, Harald, parrain d’une petite-fille des patrons, qui maîtrisait le grec mieux que moi. Lui aussi était dérangé par la musique. Nous sommes donc allés à la police dénoncer le bruit et le manque de respect. On nous a répondu que la machine à mesurer les décibels n’était pas encore arrivée! «Cela n’est pas nécessaire, il suffit de venir sur place.» «Ecrivez-nous.» «En anglais?» «Non, en grec!» Ils étaient persuadés qu’il n’y aurait aucune suite. Ils se trompaient: nous avons écrit une lettre circonstanciée en grec, en avons tiré des photocopies, que nous avons remises à la mairie et à la police, où un préposé nous dit que le bar avait déjà reçu plusieurs amendes, mais que le propriétaire préférait payer et persister. Quelle mentalité! J’ai fini par déménager dans une chambre du village d’à côté, d’où je n’entendais plus le vacarme. J’étais tranquille, mais les patrons étaient fâchés…

Et si je n’y suis pas retournée, c’est notamment à cause de la crise financière, due aux mensonges grecs pour entrer dans l’euro, et à l’attitude cynique de l’UE. Je n’avais pas envie d’aborder le problème et de m’engueuler avec les Grecs. Pour eux, c’est un sport national de tromper le fisc. La Grèce est le seul pays de l’UE qui n’a pas de cadastre. Sa dette publique est de 179% (97% pour la France, 98% pour l’Espagne), le taux de croissance de 1,4% (2,2 pour la France, 3,1 pour l’Espagne), le taux de chômage de 21% (9 et 16). A cause de la situation, entre 300’000 et 500’000 Grecs auraient quitté le pays depuis le début de la crise en 2009. Médecins, avocats, ingénieurs ou jeunes diplômés… La fuite des cerveaux a touché les plus talentueux. Etouffées par les taxes et des cotisations sociales très élevées, plus de 70’000 PME sont parties s’installer à Chypre ou en Bulgarie, où l’impôt sur les sociétés tourne autour de 11% contre 45% en Grèce.

Je fus émue et choquée par Adults in the Room, film franco-grec de Costa-Gavras, sorti en 2019, fondé sur le livre-journal de l’alors ministre de l’économie, le brillant Yánis Varoufá- kis. Il montre les coulisses secrètes de l’Europe et la rigidité de l’Allemagne, via son ministre Wolfgang Schäuble, qui, totalement insensible à la détresse des Grecs, ne parle que de rigueur budgétaire.

Costa-Gavras part des élections remportées par Syriza, parti de gauche, le 25 janvier 2015, et de l’arrivée comme Premier ministre d’Aléxis Tsípras, qui nomme Yánis Varoufákis ministre de l’économie, et le charge des discussions avec l’UE. Le journaliste Fabien Perrier analyse le rapport de forces en Europe. Quand Syriza arrive au pouvoir, «le parti suscite une peur obsessionnelle chez les dirigeants européens, qui n’attendent que sa chute, Alexis Tsipras ne deviendra fréquentable qu’après avoir signé le troisième mémorandum, le couteau sur la gorge.»

Costa-Gavras démontre le piège d’appauvrissement et d’impuissance dans lequel était pris le peuple grec.Le double discours de Michel Sapin, ministre français de l’économie, qui accueille chaleureusement Varoufákis, lui fait des promesses, mais n’ose pas s’opposer à la rigueur du ministre allemand Wolfgang Schaüble. «La France n’est plus ce qu’elle était», lui dit-il comme pour s’excuser. Varoufákis doit affronter des homologues brutaux, arrogants, prêts à trahir la parole donnée en privé.

Si les négociations s’étaient déroulées en faveur de la Grèce, Syriza serait resté au pouvoir pendant 10 ans (au lieu de 4, il fut remplacé en 2019 par Kyriákos Mitsotákis, de la droite ND). En Espagne, Podemos aurait retrouvé de la vigueur, de même en France… Aux yeux de certains dirigeants européens, le risque était celui d’un effet domino. On a voulu humilier et écraser les Grecs jusqu’au bout, anéantissant le projet d’une société plus équitable.

On n’a laissé aucune chance au peuple grec. Certes, il avait menti et triché et n’est pas fichu de mettre de l’ordre dans ses structures. L’église orthodoxe, richissime, ne paie pas d’impôts, les armateurs non plus, et aucun gouvernement ne lutte efficacement contre la fraude fiscale, qui se monterait entre 10 et 20 milliards d’euros. Je me suis souvenue qu’on ne me donnait pas de ticket pour les repas que je prenais chaque soir, ni pour la chambre. J’imagine que c’est une façon de payer moins d’impôts.

Mais malgré tout, j’aime la Grèce, que j’ai visitée chaque année depuis 1980, avec une interruption entre 2011 et 2016. J’ai appris le grec, pour parler avec les gens, la relation est tellement plus belle, directe, chaleureuse, j’ai visité presque toutes les îles, le Péloponnèse, l’est du continent jusqu’à Alexandroúpolis, en Thrace. J’ai ramassé du sable de toutes les plages, que je glisse ensuite dans de petites bouteilles, j’aime son ciel, ses mers, ses collines, ses chants, j’aime ses habitant.e.s et leur xénophilie unique au monde, j’aime leur café (metrio), l’ouzo, le vin résiné, leur nourriture: tarama, caviar d’aubergine, moussaka, pastitsio…

Quand je vois un homme monter un âne, ou le guider s’il est trop chargé, j’ai l’impression de vivre dans un autre temps, où la vie est frugale mais simple et généreuse. Je suis et je marche «ailleurs».

Pour la première fois depuis longtemps, je peux partir en juin: pas de concert de ma chorale pour cause de Covid et la Fête de la musique, cette année, sera restreinte. Alors, je vais profiter de l’aubaine. J’ai besoin de me ressourcer: je ne suis pas partie en 2020. Après Perséphone, Ariane, Médée (trois recueils publiés), j’espère rencontrer Cassandre. Et je reviendrai juste à temps pour rédiger ma dernière chronique avant la pause d’été de Gauchebdo. À bientôt.