Violences domestiques et harcèlements

Suisse • Fin mai, le Canton de Vaud révélait l’ampleur de la violence domestique entre 2015 et 2020, en annonçant de nouvelles mesures pour éradiquer ce phénomène. A Genève, une affaire sordide montre que rien n’est simple pour en finir avec ce fléau.

Dans le canton de Vaud, le nombre d’interventions policières pour violence domestique ne faiblit pas. (DR)

Les chiffres sont là. Depuis 2015 et lors d’appel de la victime, la police intervient encore en moyenne quatre fois par jour pour des faits de violence domestique. Au fil des ans, le Canton a cependant renforcé son dispositif légal face à ce phénomène. Il inclut aussi bien la violence physique, sexuelle, psychologique ou économique. Dernière en date, l’adoption en 2018 de la Loi d’organisation de la prévention et de la lutte contre la violence domestique (LOVD), qui offre des moyens supplémentaires pour éviter la récidive et protéger les victimes.

Renforcement de la prise en charge

Depuis 2015 et l’introduction des premières mesures «Qui frappe part!», qui «encourageait» aussi l’auteur de violence à une prise en charge, le nombre d’expulsions de domicile des agresseurs a considérablement augmenté, passant de 30 auteurs expulsés annuellement avant 2015 à 420 aujourd’hui avec la LOVD. Dans 28% des interventions de police, l’auteur est expulsé. La nouvelle loi prévoit que lors d’une expulsion, qui peut aller jusqu’à 30 jours, la police transmette systématiquement les coordonnées de la personne expulsée à l’organisme habilité.

Sous peine de sanctions, la participation de l’expulsé.e à un entretien socio-éducatif est exigée. Celui-ci permet d’évaluer la situation avec l’auteur.e des violences, lui donner des informations juridiques et sur les possibilités hébergement, ainsi que de l’orienter vers le suivi adéquat. «Le but est d’amorcer une prise de conscience sur la responsabilité des actes de violence et d’entrer dans une démarche permettant à l’auteur.e de rompre avec le cycle de la violence et d’éviter ainsi la récidive», relève le rapport (1) rédigé par le Bureau de l’égalité du Canton, qui a aussi pour tâche de tenir un registre des événements centralisé.

Victimes féminines

En ce qui concerne les victimes, 164 ont été hébergées en moyenne chaque année au Centre d’accueil de MalleyPrairie. Ce dernier a aussi assuré des entretiens ambulatoires auprès de 1178 personnes en 2019 et 1285 en 2020. Les violences domestiques surviennent majoritairement entre partenaires et ex-partenaires. Les femmes sont essentiellement touchées. Ainsi elles représentent 70% des victimes d’infractions enregistrées par la police dans une relation de couple, en particulier lorsqu’il s’agit de violences graves. De 2016 à 2020, sur 14 homicides commis dans la sphère privée, 10 ont été perpétrés dans le cadre d’une relation de couple, dont neuf femmes et un homme victime.
Parallèlement au travail de police, le Ministère public a traité 985 affaires en 2019 et 931 en 2020 pour des situations de violence domestique. Ceci suite à un rapport de police ou d’une plainte directement déposée au Ministère public.

Le rapport montre aussi que «l’éradication des violences est un combat au long cours». En 2021, le Conseil d’Etat s’est encore doté d’un Plan d’action dans le sillage de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique dite Convention d’Istanbul. Il a mis l’accent sur la protection des victimes, mais également sur la prévention et la sensibilisation. Objectif: ancrer dans la société le rejet de la violence à l’égard des femmes et celui de la violence domestique.

Rapports inégalitaires

«Convaincu que ce phénomène trouve son origine dans les rapports inégalitaires entre les femmes et les hommes, le Conseil d’Etat réaffirme sa volonté de lutter contre toute forme de discrimination liée au genre et de travailler à construire une société égalitaire», avait souligné la socialiste Nuria Gorrite, cheffe du Département des infrastructures et des ressources humaines, lors de la présentation du rapport.

Rappelons qu’au niveau suisse, le Département de justice et police a entériné fin avril une feuille de route contre la violence domestique, en collaboration avec les cantons, les communes et des organisations de la société civile. La mise en place d’une centrale téléphonique unique 24h sur 24 pour dénoncer un cas ou demander de l’aide est prévue. Les cantons vont étudier la possibilité, dans le cadre d’un projet pilote, de mettre un bouton d’alarme à la disposition des victimes sur une base volontaire.

Un cas emblématique

La semaine dernière, la Grève féministe de Genève a révélé une situation particulièrement lourde de violence domestique, mettant à mal le dispositif de soutien des victimes. Agée de 32 ans, Larissa (nom d’emprunt) a trois enfants. Elle s’est séparée de son mari en mai 2020. Après un dépôt de plainte contre son ex-compagne pour coups et menaces, celui-ci a été condamné, le même mois en audience de confrontation, à 45 jours de peine privative de liberté et l’obligation de suivre une thérapie auprès du centre de psychothérapie Vires pour soigner sa violence. Mais le lendemain de l’audience, il a contacté la victime pour lui signifier qu’il ne respecterait pas les mesures de substitution et «que jamais personne ne lui dirait quand il pourrait voir ses enfants».

Suite à un nouvel esclandre de son mari à la piscine de Thônex en septembre, Larissa a déposé une seconde plainte. Mais aucune mesure n’a été prise à l’encontre de son ex, malgré son non-respect des mesures de substitution. Suivront quatre autres plaintes (en octobre 2020, mars 2021 et deux en mai 2021) et deux constats médicaux. Plusieurs audiences au civil définiront laborieusement les principes de la garde des enfants et de la jouissance au logement.

Quant aux audiences au pénal, elles ont été longtemps repoussées. «En attendant, je vis avec une boule au ventre. J’ai peur à chaque fois que je sors de chez moi. Je me promène avec un spray au poivre et une alarme. Lui se balade avec un énorme couteau, qu’il a fièrement exhibé devant moi», précise Larissa. Le 3 juin, une audience au Tribunal pénal s’est finalement tenue, mais le mari agresseur ne s’est pas présenté. «Le procureur dans cette affaire ne prend pas au sérieux les menaces proférées par le prévenu lui-même qui dit ne pas pouvoir se retenir de passer à l’acte. Nous demandons à la justice et la police genevoise de tout faire pour protéger Larissa et ses enfants! Si Larissa est tuée par son mari, nous les en tiendrons personnellement responsables!», a réagi la grève féministe Genève. n

(1) Rapport complet sur le site www.vd.ch