Le rail privé britannique, ce mort-vivant…

Grande Bretagne • Trains hors de prix, en retard, souvent annulés: même le gouvernement de Boris Johnson doit reconnaître que la privatisation du rail anglais est un échec. Mais plutôt que de le renationaliser comme le demandent deux tiers des Britanniques, il a décidé de relooker la privatisation du rail. Explications. (Par Michaël Verbauwhede, Paru dans Solidaire)

Une manifestation «Bring Back British Rail» à King’s Cross à Londres en 2019. (Bring Back British Rail)

En 1994, la Royaume-Uni privatisait l’ensemble de son chemin de fer. Transport de passagers, vente de tickets, entretien des voies… tout allait mieux rouler avec le privé: moins de retards, plus de services, des tickets moins chers.
Mais très vite, le rail anglais dépérit: de nombreux accidents ont eu lieu, dont le terrible accident de Hatfield (4 morts) dus à un mauvais entretien des voies. Le service se dégrade et les tarifs sont de plus en plus chers. Les Britanniques dépensent en moyenne 14% de leur salaire mensuel pour faire la navette, contre 2% en France par exemple. Un jeune YouTubeur fait ainsi le calcul qu’il lui revient moins cher de faire le trajet de Sheffield (nord de l’Angleterre) à Essex (est de Londres) en passant par Berlin en avion, plutôt que de prendre le train.

Enfin, les conditions de travail se dégradent, comme en témoigne le splendide film de Ken Loach, The Navigators. Les opérateurs privés en ont par contre tiré des profits importants. Le syndicat anglais TUC a ainsi calculé que les actionnaires des compagnies privées avaient reçu un milliard de livres (environ 1,16 milliard d’euros) en dividendes entre 2013 et 2018. La privatisation du rail au Royaume-Uni en 1994 est donc un échec. Suite aux accidents à répétition, le gouvernement britannique avait déjà renationalisé la gestion de l’infrastructure en 2002, en créant Network Rail.

Même la droite reconnaît l’échec

Mais les retards, les tarifs élevés et la mauvaise qualité du service n’ont pas arrêté pour autant. Les syndicats et de voyageurs ont continué à dénoncer l’échec de la privatisation et à réclamer une renationalisation. Deux tiers de la population soutient cette reprise de contrôle public. Sous la direction de Corbyn, le Labour avait également fait campagne en ce sens.

L’échec du système est visible par tous. Sous pression, de l’opinion publique et des syndicats, le gouvernement de Boris Johnson a été obligé de le reconnaître, dans un rapport qui vient de sortir. Il met donc fin au système tant décrié des franchises. Ce système donnait l’exclusivité à une compagnie privée de faire rouler des trains sur une région ou des lignes bien déterminées. Sur cette franchise, la compagnie fixait les tarifs qu’elle souhaitait.

Même morte, la privatisation du rail britannique vit encore…

Dorénavant, une structure ferroviaire nationale unique (Great British Railways) est rétablie, avec un seul système de billetterie. Mais le gouvernement n’en tire pas toutes les conclusions. Car les compagnies privées restent toujours impliquées pour la circulation des trains, par des délégations de services (le public fixe les horaires et tarifs et le privé exploite les trains).

Le communiqué du gouvernement est assez clair à ce sujet: «ce n’est pas une renationalisation (…) mais une simplification. Si Great British Railways joue le rôle d’âme dirigeante pour coordonner l’ensemble du réseau, notre plan prévoit une plus grande participation du secteur privé». Et de citer les façons dont le privé pourra s’impliquer dans le transport ferroviaire: faire circuler les trains, innover dans la vente de billets…

Le gouvernement continue donc à financer les profits du privé avec de l’argent public et celui des voyageurs. Il reste dans une logique de marché. Le groupe d’action We own it, qui se bat pour la renationalisation de toute une série de services publics, estime que cette décision n’est qu’une «privatisation relookée». Les syndicats soupçonnent qu’il y aura encore des coupes budgétaires et que les profits continueront à aller au privé.

L’Écosse: un autre modèle possible

Le débat sur la renationalisation du rail au Royaume-Uni fait rage depuis des années. Sous pression, l’Écosse et le Pays de Galle avaient été beaucoup plus loin. L’Écosse a ainsi décidé de renationaliser l’entièreté de son rail en mars 2021, car l’opérateur privé (Abellio filiale de la NS néérlandaise) n’atteignait pas ses objectifs. Fini le privé (contrairement au plan du gouvernement de Boris Johnson), c’est une entreprise publique qui fera désormais rouler les trains en Écosse. Cette entreprise conservera l’ensemble du personnel. Les syndicats et organisations de gauche attendent beaucoup de cette véritable renationalisation écossaise.

La lutte pour la renationalisation du rail en Angleterre n’est donc pas terminée. Mais cette nouvelle tentative de la droite pour maintenir coûte que coûte la privatisation du rail britannique montre qu’elle est sur la défensive. Elle a dû reconnaître que la privatisation des années 90 était un échec. Et les syndicats, voyageurs et mouvement de gauche ont déjà annoncé la couleur: ils continueront à se battre pour reconstruire un rail public.