Relocalisation urgente

Asile • De retour d’une mission de parlementaires à Lesbos, le conseiller national (PS) Pierre André Fridez plaide pour une relocalisation européenne des réfugié.es et pour un mécanisme de solidarité efficace entre les pays européens. Interview.

Le but est d’atténuer la pression migratoire exercée sur les Etats en première ligne par une relocalisation des réfugié.es. (Tom Patteson)

En mai, après six mois d’attente pour obtenir l’autorisation de la Grèce, le conseiller national (PS) Pierre André Fridez a pu conduire une mission à Lesbos à la tête d’une commission ad hoc de parlementaires du Conseil de l’Europe, chargée d’évaluer la situation après l’incendie du camp de Moria à Lesbos. Après des rencontres avec des représentants du HCR, du CICR et de la société civile, de différents ministères, des parlementaires locaux et des réfugiés dans les centres d’accueil, le Jurassien plaide pour une relocalisation européenne des réfugié.es et pour un mécanisme de solidarité efficace entre les pays européens pour atténuer la pression migratoire sur les pays en première ligne.

Après l’incendie du camp de Moria en septembre 2020, la Grèce a ouvert une nouveau camp près de Mytilène, quelle est la situation sur place?

Pierre-Alain Fridez L’ancien camp de Moria symbolisait l’horreur absolue, comme l’a expliqué Jean Ziegler dans son livre, Lesbos, la honte de l’Europe. Une telle situation perdure encore dans l’ile de Samos. Alors que les îles grecques ont pu accueillir jusqu’à 40’000 personnes, il reste aujourd’hui environ 14’000 demandeurs d’asile dans les centres d’accueil insulaires. Cette diminution est due à la pandémie, mais aussi à la politique de renvois et de blocages musclés, push-back, menées par l’agence européenne Frontex et les gardes-côtes grecs comme l’ont rapporté plusieurs témoignages que nous avons recueillis. Dans le nouveau centre d’accueil temporaire et d’identification de Mavrovouni, près de Mythilène, les conditions d’hébergement et les installations sanitaires sont un peu plus dignes (visant une douche pour dix personnes), mais encore loin d’être satisfaisantes. Plus de 6000 personnes résident dans ce centre, une majorité venant d’Afghanistan et de Syrie, dont 40% d’enfants, attendant désespérément une réponse à leur demande d’asile, qui peut prendre parfois deux ans. Il faut aussi noter que les enfants dans les centres ne sont pas scolarisés, et bénéficient uniquement d’une éducation non formelle.

Face à cette situation et comme vous l’avez expliqué aux parlementaires du Conseil de l’Europe, il faudrait favoriser les relocations de requérant.es dans d’autres pays européens. Est-ce envisageable?

L’Europe est partagée entre deux discours. Il y a celui des droits humains et d’accueil, dont le plus fidèle garant est justement le Conseil de l’Europe. De l’autre côté, il y a le droit de la fermeture lié au système Schengen ou Frontex, qui cherche à limiter ce droit d’asile, en verrouillant les frontières contre les franchissements illégaux.
Pour notre institution, il est possible de faire beaucoup plus en termes de solidarité avec les pays d’accueil en première ligne, pour éviter la montée de l’intolérance dans ces îles, qui se sentent abandonnées de tous. Il faut par exemple que le nouveau Pacte européen sur les migrations et l’asile (projet de réforme de la politique migratoire européenne présentée en par la Commission européenne en septembre 2002, ndlr), propose des mécanismes simples par lesquels les personnes ayant besoin d’une protection immédiate seront relocalisées vers le pays qui pourra leur offrir la meilleure protection. Ce que j’ai rappelé, au retour de ma mission, à Karin Keller-Sutter, cheffe du Département de justice et police. Nous essayons aussi de faire bouger le système pour favoriser des voies de migration sûres et légales afin d’assécher les passeurs et en finir avec la traite humaine. A terme, du fait du vieillissement de la population européenne, l’Europe aura besoin de davantage d’immigration. De plus, les zones de conflit et de risques climatiques ne cessent de s’étendre sur la planète. Face à cette situation, l’Europe doit créer plus de possibilités unanimement reconnues pour que les migrants puissent franchir les frontières à des fins de migration et d’asile.

Comment lutter contre la montée de la xénophobie en Europe?

L’exemple de l’Allemagne, qui a accueilli plus d’un million de réfugié.es en 2015 montre qu’il est aussi important de répondre aux attentes économiques de la population locale, pour éviter de faire le lit du populisme. Il faut aussi offrir des perspectives d’intégration aux migrant.es. Celles-ci sont considérablement améliorées lorsqu’une personne a un lien avec l’Etat de transfert, ce qui peut inclure une langue commune, un contexte culturel ou des liens familiaux qui vont au-delà de ceux acceptés comme pertinents aux fins du transfert.

 

Des vies en suspens

La Coordination asile.ge, en collaboration avec l’Observatoire romand du droit d’asile et des étranger·ères (ODAE romand) vient de sortir un rapport Jeunes et débouté·es à Genève: des vies en suspens. Celui-ci dénonce la situation de 60 jeunes âgé.es de 15 à 25 ans, débouté.es à Genève.

«La plupart d’entre eux et elles sont arrivé·es en Suisse entre 2014 et 2016 pour y demander l’asile. Pour beaucoup, le rejet de leur demande d’asile est survenu après plusieurs années de scolarité et d’intégration. Leur quotidien est celui de l’aide d’urgence, une réalité précaire: les personnes ont droit à 10 francs par jour, un hébergement et une couverture sociale sommaires. Ils et elles perdent aussi le droit de travailler ou de faire un apprentissage dual. Pourtant, leur renvoi est souvent inexécutable et ils et elles se retrouvent dans un no man’s land qui dure indéfiniment. Sur les 60 personnes recensées, 40 sont en Suisse depuis plus de 5 ans et plusieurs pourraient prétendre à une régularisation», relève le rapport.

Celui conte des histoires comme celle de Sami*, un jeune somalien de 23 ans arrivé en Suisse en 2016. Très vite, il reçoit une décision de non-entrée en matière Dublin et ne souhaitant pas quitter la Suisse, il disparaît dans la clandestinité. Il se rend d’abord dans le canton de Neuchâtel où il trouve un travail de boulanger. Après le traitement d’une maladie et quelques mois de recherche, ce dernier  trouve un stage de 3 mois dans une boulangerie genevoise. Apprécié de son patron, celui-ci lui propose de le prendre comme apprenti. Mais Sami* reçoit une décision négative, et son rêve se brise. Sa demande de dérogation est refusée par l’Office cantonale de la population et des migrations (OCPM).

Face à cette situation, la Coordination asile.ge demande donc aux autorités genevoises que tous·tes les jeunes débouté·es et sans statut légal puissent accéder à et poursuivre la formation choisie en fonction de leurs aspirations et capacités, au moins jusqu’à 25 ans. Mais aussi que la régularisation des personnes déboutées soit facilitée et soutenue, d’autant plus quand elles sont arrivées en Suisse avant l’âge de 25 ans.