Le climat peut attendre

Suisse • Suite à l’échec de la Loi CO2 en votation, la cheffe du département de l’énergie, Simonetta Sommaruga, a proposé le 17 septembre de nouveaux jalons de politique climatique, supprimant les taxes anti-sociales du projet. On est loin du compte selon les mouvements climatiques.

Manifestation en faveur du climat à Lausanne en 2019. La rue n’a guère été entendue par le Conseil fédéral. (Gustave Deghilage)

Comme un air de mea culpa. A l’occasion de sa conférence de presse, la ministre de l’environnement a souligné que son département du DETEC avait fait l’analyse du refus de loi CO2 lors de la votation populaire du 13 juin dernier. «Celui-ci révèle que la crainte d’une hausse des coûts et en particulier l’éventuelle augmentation du prix de l’essence ont conduit à ce rejet», a souligné la conseillère fédérale. Ajoutez à cela les taxes sur les billets d’avions ou sur le mazout de chauffage, tout contribuait à ce que la gauche de la gauche – un des comités référendaires à côté de celui des associations économiques et de la droite nationaliste opposés à la loi – considère le projet comme de l’«écologie punitive». Promis, juré, pour la nouvelle mouture de la loi, qui doit préciser le chemin écologique de la Suisse après 2020, le projet ne devrait pas proposer de nouvelles taxes.

Aides financières

«Pour le cas où des moyens supplémentaires sont nécessaires dans le secteur des bâtiments, le DETEC examine la possibilité d’adapter temporairement l’affectation de la taxe sur le CO2», a précisé la ministre. Des mesures de soutien supplémentaires pour la population et les secteurs concernés seront mises en place. A titre d’exemple, la socialiste a expliqué que des aides financières seraient allouées au remplacement des anciens chauffages à mazout ou à gaz. En matière de mobilité, l’objectif est de promouvoir le développement des infrastructures destinées aux voitures électriques. Les entreprises qui s’engagent à réduire leurs émissions pourraient être exemptées de la taxe sur le CO2, à condition qu’elles compensent leurs émissions.

Dans l’aviation, le but est de développer l’utilisation d’un pourcentage de carburants durables dans les réservoirs des avions. A terme, la cible générale reste la même. Il s’agit pour la Suisse de réduire d’ici 2030 ses émissions de moitié par rapport à 1990. Pour ce faire, des réductions d’émissions de gaz à effets de serres pourront aussi être conduites dans des pays étrangers. Rappelons que la Suisse a ainsi signé en juillet un accord avec le Sénégal et en 2020 avec le Ghana et le Pérou, pays où les entreprises suisses auront l’opportunité d’investir dans des projets de protection du climat. Le Sud a toujours bon dos…

Plutôt en accord avec la nouvelle feuille de route, le Parti socialiste suisse a rapidement octroyé un satisfecit à sa ministre. Il considère que le projet «constitue un pas en avant important pour la politique suisse». «Les mesures présentées soutiennent la population dans la transition énergétique: la voie choisie par le Conseil fédéral se concentre sur les subventions pour de nouveaux systèmes de chauffage et l’assainissement de bâtiments, des incitations en matière d’investissements, l’expansion des infrastructures pour les voitures électriques et les progrès technologiques plutôt qu’augmenter les taxes», assure-t-il. La formation regrette pourtant que la place financière, responsable d’une partie très importante des émissions de la Suisse. soit exemptée A l’occasion de sa conférence de presse, S. Sommaruga avait tenu à préciser que la nouvelle mouture faisait figure de pas d’après, mais n’était pas le dernier. «Entre une loi complète et globale, qui touche tous les secteurs, mais qui à la fin n’aboutit pas, nous voulons avancer maintenant dans la politique climatique. Voilà le but», a-t-elle argumenté.

Déception de la Grève du climat

Tout autre son de cloche du côté de la Grève du climat, qui organise le 24 septembre une journée «Fridays for Future» à Zurich, Berne, Aarau, Davos et Lucerne. Rappelons que le même jour a lieu à Lausanne le premier procès d’une suite de jugements contre 200 activistes climatiques accusés d’actions de blocage en 2019 ou de l’occupation de l’UBS, le 14 janvier 2020 (avec 34 prévenu.es) Une dizaine d’autres procès se tiendront entre octobre et décembre pour une quarantaine de militant.es.

Pour le mouvement environnementaliste des jeunes, le dessein officiel est trop modeste. Il serait nécessaire de fixer une réduction de 100% des émissions de gaz à effets de serre d’ici à 2030. «L’objectif de la politique climatique suisse s’oriente vers un réchauffement global de 3°C. Celui-ci aurait des conséquences catastrophiques pour l’ensemble de la population mondiale, mais surtout pour les populations du Sud», estime Jonas Kampus. Sur ce chapitre, Anna Lindermeier abonde: «La publication du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a montré que les émissions de CO2 doivent être réduites massivement et plus rapidement. L’objectif de rester en dessous d’une hausse de 1,5 degré ne peut être atteint que si des pays comme la Suisse vont maintenant de l’avant et ramènent très rapidement leurs émissions de CO2 à un niveau net zéro».

Transports publics à développer

Si la Grève du climat salue l’aide financière accordée pour le remplacement des systèmes de chauffage au fioul et au gaz, elle exige des garde-fous. «Le remplacement des systèmes de chauffage au fioul ne doit pas entraîner une augmentation des loyers. Cette mesure ne fonctionne qu’avec une forte protection des locataires, sinon la protection du climat favorise la gentrification», explique Lorenz Obrist.

Le mouvement en appelle aussi à développement massif des transports publics pour améliorer la connexion des zones rurales. «Personne ne devrait plus avoir à dépendre d’une voiture. La loi sur le CO2 doit fortement soutenir et développer les transports publics dans les zones rurales, tant sur le plan financier que sur celui du personnel», précise Anja Gada. Quid de la promotion des voitures électriques? L’avis est mitigé. «Elles sont également incroyablement nocives pour le climat. En outre, cela ne résoudra pas d’autres problèmes tels que la pollution par les poussières fines, les microplastiques, la pollution sonore et l’imperméabilisation des sols», explique Lena Bühler.

Au final, la Grève du climat ne mise pas sur un engagement personnel de la population à réduire les émissions de CO2 dans la vie quotidienne. «Le Conseil fédéral commet une erreur fatale en plaçant cet objectif au centre de la loi. Les particuliers ne peuvent réduire qu’une petite partie de leurs émissions de CO2. Environ 70% des émissions par habitant ne peuvent être réduites par des décisions individuelles», précise la Grève. «La nouvelle loi doit tenir pour responsables les grandes entreprises qui nuisent au climat et fixer une trajectoire de réduction claire avec des mesures définies. La grande faiblesse de l’ancienne loi sur le CO2 était l’accent mis sur la «dette climatique» individuelle», conclut Jonas Kampus.