Les communistes ont gagné la seconde ville d’Autriche

Autriche • Comment un parti communiste peut-il passer de 1,8% en 1983 à près de… 30% en 2021? (Par Jonathan Lefèvre, Paru dans Solidaire, adapté par la rédaction)

Elke Kahr (S.Weidinger)

Depuis ce dimanche 26 septembre au soir, les commentateurs – tant autrichiens qu’étrangers – se demandent ce qu’il vient de se passer à Graz, ville de 290’000 habitants de la région de l’État de Styrie, dans le sud-est autrichien. Le parti communiste local, le KPÖ (Kommunistische Partei Österreichs), se retrouve en tête de l’élection municipale (communale), devant l’ÖVP conservateur, le FPÖ d’extrême droite, le SPÖ social-démocrate et les Grünen écologistes. Avec plus de 29%, les communistes battent un record. Et mettent fin à 18 ans de gouvernance conservatrice. Une surprise? Quand on regarde les sondages, oui. Mais quand on voit le travail de terrain, non. «Certains font des promesses quelques semaines avant les élections. Nous, nous sommes là tous les jours et depuis des années pour les gens, surtout pour les plus démunis», déclarait la probable future bourgmestre, Elke Kahr, à l’annonce des résultats.

Travail de terrain payant

La progression du parti communiste, si elle n’est pas linéaire, est néanmoins présente à chaque échéance électorale. En 1983, le maigre score de 1,3% lui assure pourtant une présence dans le conseil municipal. Mais le KPÖ sait qu’il doit parler à la large classe travailleuse. Il décide donc d’impulser un travail de terrain conséquent, jamais ralenti depuis. En partant du problème, inquiétant, des logements insalubres à Graz et en l’élargissant à toute la problématique du logement en général, le parti veut agir avec les gens. Il lance ainsi un centre d’appels d’urgence pour les locataires. Il agit aussi dans les combats juridiques contre les marchands de sommeil et les gros propriétaires commerciaux. Il lance des actions pour dénoncer la mainmise des géants du béton et du logement. En 1993, Elke Kahr devient la seconde élue communiste de Graz. Alors à 4,2%, le parti double presque son score en 1998 (7,9%). En 2003, les bons résultats se confirment. Mieux, le KPÖ, avec 20,8%, bat un nouveau record.
Ce dimanche, les électeurs de Graz étaient appelés aux urnes pour renouveler les conseils de la capitale de la Styrie. Ils devaient élire le Conseil municipal (Gemeinderat -48 sièges), le gouvernement municipal (Stadtregierung -7 sièges) et les Conseils des districts (17 Conseils). Le parti communiste a donc gagné 15 sièges au conseil municipal (+5) et 3 sièges au gouvernement municipal (+1).

Des élus avec un salaire d’ouvrier

Comment expliquer ce résultat? Celle qui devrait devenir la première bourgmestre communiste de Graz a donc mis en avant le travail réalisé depuis longtemps par le parti. Une analyse que Robert Krotzer, échevin KPÖ de la Santé depuis 2017 au conseil municipal de Graz (et, à l’âge de 29 ans, plus jeune échevin de l’histoire de Graz), nous confirme: «Oui, ce résultat ne peut s’expliquer que par les décennies de travail du KPÖ pour les travailleurs de notre ville et tous ceux qui n’ont pas un compte en banque très fourni. Outre la ligne d’assistance téléphonique pour toutes les questions relatives au logement, des milliers de personnes viennent également chaque année à nos consultations sociales dans le bureau du KPÖ à l’hôtel de ville ou dans notre maison du peuple (secrétariat du parti, NdlR). Nous essayons d’aider les gens à faire valoir leurs droits vis-à-vis des autorités, dans la vie professionnelle ou encore vis-à-vis des sociétés immobilières.»

Un autre facteur a joué en faveur des communistes, comme le relève l’analyste politique expert en mouvements sociaux Manès Weisskircher sur Twitter: «Un aspect important de la crédibilité du KPÖ local est l’engagement personnel des élus. Des heures de travail intensives tout en renonçant à une partie de leur salaire.» Confirmation de Robert Krotzer: «Pour les mandataires du KPÖ, il existe un plafond salarial correspondant au salaire d’un ouvrier qualifié. Elke Kahr et moi-même reversons deux tiers de nos revenus par exemple…»

«Le seul parti qui est là pour le peuple»

Plus généralement, en faisant une campagne axée sur les priorités des gens (logement, transports en commun, etc.), le KPÖ a fait mouche. Pour cela, le parti n’a pas hésité à aller sur le terrain, continue le jeune élu communiste: «sur les très nombreux stands d’information du KPÖ, on a pu constater le mécontentement des gens face à la déconnexion des politiciens conservateurs en particulier, tant au niveau fédéral que municipal, qui ne font de la politique que pour quelques grands groupes de pression. Beaucoup de gens nous ont dit: “Vous êtes le seul parti qui est là pour le peuple.”»

Ce succès doit être analysé (et apprécié) dans son contexte. La droite et l’extrême droite sont très fortes en Autriche. Le chancelier (Premier ministre) conservateur Kurz (ÖVP) a déclaré juste après la publication des résultats: «Cela devrait donner à réfléchir que les communistes puissent gagner une élection en Autriche…» Le chef local du FPÖ (extrême droite) à Graz s’est dit «déçu» par les habitants de Graz et perdu ses illusions: «On dit que l’électeur a toujours raison, mais maintenant je n’en suis plus sûr.» Une variante de la formule de l’écrivain allemand Bertolt Brecht: «Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple».