Les femmes et la santé

La chronique féministe • Dès l’apparition du Covid-19, on a mesuré l’importance du personnel soignant, qui fut en première ligne, dans des conditions précaires, voire dangereuses, notamment par manque de masques, blouses, charlottes. Il faisait face, soignait, opérait, protégeait, accompagnait, dans un contexte délétère d’impréparation et d’information lacunaire, parfois mensongère (le masque ne sert à rien). Parmi les soignant.es,...

Dès l’apparition du Covid-19, on a mesuré l’importance du personnel soignant, qui fut en première ligne, dans des conditions précaires, voire dangereuses, notamment par manque de masques, blouses, charlottes. Il faisait face, soignait, opérait, protégeait, accompagnait, dans un contexte délétère d’impréparation et d’information lacunaire, parfois mensongère (le masque ne sert à rien). Parmi les soignant.es, 70% de femmes. Au niveau mondial aussi, les femmes représentent 70% du personnel soignant, y compris en Afrique. Mais au fur et à mesure qu’on monte dans la hiérarchie, elles deviennent minoritaires.

Ces chiffres peuvent être mis en parallèle avec ceux de la pauvreté et de la faim: 70% des personnes affamées dans le monde sont des femmes, selon la rapporteuse spéciale de l’ONU pour le droit à l’alimentation, alors qu’elles produisent, comme agricultrices, plus de 50% des aliments. Un étrange paradoxe.

Mais il en est un autre, tout aussi choquant: Les femmes sont mal prises en compte par la recherche médicale. Pour l’Académie de médecine, la recherche et la médecine ne peu- vent plus ignorer les différences biologiques entre les sexes. Hommes et femmes ne sont pas égaux devant la maladie», affirme-t-elle en dénonçant la trop faible participation des femmes dans les essais cliniques. «Les hormones sexuelles jouent bien un rôle important, mais il y a aussi 30% des gènes qui s’expriment différemment entre les hommes et les femmes». L’Académie prône la parité dans le domaine de la santé. Un reportage de Corine Goldberger, dans Marie Claire, se demande pourquoi il y a si peu de femmes dans la recherche scientifique. D’autant que les lycéennes de terminale S sont meilleures que les garçons.

Posez la question à n’importe quelle copine:«Tu connais les premiers signes de l’infarctus?»Il y a de fortes chances qu’elle vous cite des douleurs aiguës dans le thorax et dans le bras gauche, des symptômes qui touchent plutôt les hommes. Cette pathologie n’est pas la seule pour laquelle on observe des différences entre les hommes et les femmes. Or la majorité des études se fondent sur les réactions masculines, aussi bien pour les tests sur les souris que sur les humains: des mâles, 4 fois sur 5. Les raisons généralement invoquées? Ils sont moins soumis aux fluctuations hormonales que les femelles, et les femmes sont plus difficiles à étudier en raison des risques pour le fœtus, en cas de grossesse, pré- sente ou future.«Surtout, faire des études sur un seul sexe, homme ou animal mâle, coûte moins cher», commente Claudine Junien, professeure de génétique médicale et membre du tout nouveau Conseil scientifique de l’Institut de France sur la recherche sur les maladies cardiovasculaires féminines.

Les femmes et les hommes sont encore plus différents, biologiquement, qu’on l’imagine:«Dès la conception, l’embryon mâle ne se comporte pas de la même manière que l’embryon femelle, explique Claudine Junien. Parce que chaque cellule de l’embryon a un «sexe». Qu’elle niche dans le foie, le muscle ou le cerveau, chaque cellule du corps humain a un double chromosome: XX pour les filles ou XY pour les garçons. On commence enfin à prendre conscience que les médicaments ne se diffusent pas de la même façon dans l’organisme des femmes et dans celui des hommes. Un exemple parmi d’autres: les effets du somnifère Stilnox durent plus longtemps chez les femmes; ainsi, pour la même dose, une utilisatrice court plus de risques de s’endormir au volant. «Les femmes font une fois et demie à deux fois plus d’accidents secondaires liés aux médicaments que les hommes. Ça fait 20 ans que des scientifiques alertent les pouvoirs publics sur ces questions.»

Les chercheurs qui décrochent un financement sont majoritairement des hommes. Alors que 40% des doctorants sont des doctorantes, on ne retrouve pas cette proportion dans les comités de sélection des projets de recherche. Cette sous-représentation des femmes a de multiples raisons.

Il y a une autocensure chez les femmes, qui ont intériorisé le sexisme.

Selon Sylvaine Turck-Chièze, astrophysicienne, présidente de Femmes & Sciences (qui tente de susciter des vocations scientifiques auprès des filles dans les lysées), «Le milieu est extrêmement concurrentiel, et les femmes ne sont pas à l’aise avec ça. J’ai constaté qu’elles valorisent plus le travail d’équipe que les hommes, qui sont davantage dans la compétition. Une femme explore l’inconnu pour la beauté de la science. Les hommes y vont aussi pour se frotter à leurs collègues masculins, démontrer qu’ils sont les meilleurs.Et ils font corps.»
Les femmes elles-mêmes perpétuent le sexisme. Une expérience a été menée aux USA. Deux groupes paritaires de scientifiques devaient évaluer une candidature pour un poste. Au premier, on a soumis un CV signé John, au 2e, le même CV signé Jennifer… c’est John qui a été le mieux jugé! L’expérience est transposable en France, en Suisse et ailleurs.

Le sexisme inconscient. Cécile Real est cofondatrice et présidente d’Endodiag. Son entre- prise, distinguée en 2012 par le Prix Cartier pour l’innovation, a développé un dispositif afin d’accélérer le diagnostic de l’endométriose, maladie qui se traduit par des douleurs chroniques, des saignements et de l’infertilité (dans 30 à 40% des cas). «J’ai entendu régulièrement, de la part d’investisseurs publics comme privés, que l’endométriose est «un marché de niche». Que «ça ne touche pas grand monde». Ou que «ce n’est pas très grave». J’ai même entendu affirmer que c’était une maladie orpheline… alors qu’elle concerne 180 millions de femmes dans le monde.»

Si les chercheuses en vue se font de moins en moins rares, les 3/4 des effectifs restent masculins, et 90% des matheux professionnels sont des hommes. Selon Claudie Haigneré, première spationaute française, si les filles rechignent à faire des sciences, c’est qu’à part la physicienne Marie Curie, elles manquent cruellement de modèles. Universcience est une structure qui prend des engagements en faveur d’une science au féminin. Par exemple, former les femmes à la rédaction de pages sur Wikipédia, sachant qu’aujourd’hui, 90% des contributeurs de cette encyclopédie en ligne sont des hommes. Premier exercice: rendre justice aux chercheuses spoliées de leurs découvertes – comme la biologiste Rosalind Franklin, première découvreuse de la structure de l’ADN – en rédigeant leurs biographies.

C’est un bon début…