La vraie fausse sortie de Sebastian Kurz

Autriche • Accusé de corruption, le jeune homme pressé de la droite nationale-libérale en Europe se retire en installant à la chancellerie son allié Alexander Schallenberg. (Par Bruno Odent, Paru dans L’Humanité)

Le nouveau chancelier, Alexander Schallenberg, un fils de bonne famille issue de la noblesse autrichienne, est en effet présenté par la presse comme un fidèle parmi les fidèles du chancelier démissionnaire. (IAEA Imagebank)

La droite nationale-libérale européenne est orpheline. Elle a perdu son modèle. Sebastian Kurz, le jeune et sémillant chancelier autrichien, est tombé, au moins provisoirement, de son piédestal. Accusé de corruption dans une retentissante affaire d’achat de sondages truqués et de commentaires plus que complaisants à son égard publiés dans la presse, il a été contraint à la démission, ce week-end. Soucieux cependant de ne pas perdre totalement la main, il a décidé de propulser un proche, son ministre des Affaires étrangères, Alexander Schallenberg, pour lui succéder à la chancellerie. Lequel était intronisé, lundi, par le président de la République autrichienne, Alexander Van der Bellen (Les Verts).

Kurz est accusé de «corruption», «pots-de-vin», «abus de confiance» dans une enquête judiciaire qui a débouché, au milieu de la semaine dernière, sur la perquisition de la chancellerie et du siège de l’ÖVP (Parti populaire autrichien). L’ex-jeune homme pressé de la politique autrichienne qui s’était emparé des rênes de la droite chrétienne-démocrate, en crise au milieu de la décennie 2010, avant d’être propulsé chef d’État à 31 ans, était déterminé à accéder très vite au sommet. Quitte à forcer le destin. Candidat à la chancellerie en octobre 2017, il aurait acheté des sondages favorables, assortis d’analyses élogieuses, au groupe de presse Österreich. L’opération aurait été financée par des fonds publics via le ministère des Finances, où siégeait un ami du futur chef d’État.

Un fidèle parmi les fidèles

Sebastian Kurz, qui nie en bloc ces accusations, a annoncé son retrait comme moyen «de garantir la stabilité du pays» d’ici à ce que « la vérité soit faite». Menacé par une probable motion de censure du Parlement autrichien, il a décidé de précipiter son départ pour garder, en fait, la main sur le pouvoir. Le nouveau chancelier, Alexander Schallenberg, un fils de bonne famille issue de la noblesse autrichienne, est en effet présenté par la presse comme un fidèle parmi les fidèles du chancelier démissionnaire,  à qui il doit toute sa carrière . Diplomate chevronné, le personnage a peu d’expérience en politique intérieure. Qu’à cela ne tienne, estiment plusieurs observateurs, il sera «conseillé par les sherpas de Kurz et fermement accompagné» par son prédécesseur.

Kurz s’est adjugé de surcroît la présidence du groupe ÖVP au Parlement et demeure le chef de file du parti. Enfin, pour mener à bien son opération, il lui fallait l’accord de ses partenaires Verts, au pouvoir avec lui depuis début 2020. De la désignation de Schallenberg comme nouveau chancelier dépendait, en effet, la poursuite du gouvernement de coalition avec les écologistes. Werner Kogler, dirigeant des Verts et vice-chancelier, a officialisé ce ralliement en affirmant qu’il s’agirait de l’ouverture «d’un nouveau chapitre» pour le gouvernement. Sans se formaliser des fréquentes dérives droitières de l’exécutif.

Sebastian Kurz avait, récemment encore, interdit d’accès au territoire autrichien les Afghans tentant de fuir le retour de la dictature talibane. Il avait repris à son compte, lors des législatives de 2017, une partie du discours anti-migrants du FPÖ (Parti de la liberté d’Autriche, ultra-droite nationaliste), avant d’inviter celui-ci à former jusqu’en 2019 un gouvernement avec lui.

Cette collusion avec le FPÖ a valu à Kurz d’être mêlé à un autre scandale retentissant: l’Ibiza-gate. Cette affaire-là fut fatale à l’ex-chef de file du FPÖ, Heinz-Christian Strache, pris en caméra cachée sur l’île de villégiature espagnole, tentant de vendre à un oligarque russe le contrôle de quelques entreprises publiques autrichiennes contre un financement de son parti. Mais elle a rejailli sur l’ex-chancelier, accusé par une commission d’enquête parlementaire d’avoir fait preuve de complaisance à l’égard de Strache.

Kurz, qui s’était illustré dans la célébration, en juin 2018, d’un «axe des volontaires dans la lutte contre l’immigration illégale» avec le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, et son collègue allemand, Horst Seehofer, cultivait de bonnes relations avec les dirigeants nationaux-libéraux d’Europe centrale comme avec l’aile droite d’une CDU/CSU (chrétienne-démocrate) allemande en crise.