Les petites pilules du bonheur

Expo • Les pilules médicales nouveaux adjuvants du bonheur? C’est la question que pose une passionnante exposition à Renens.

Combien de gélules périmées et inutiles dans cet étalage de pharmacie familiale? (DR)

Longtemps, l’humanité a cherché à atteindre le bonheur par les religions, les philosophies, l’engagement politique. Il semble qu’aujourd’hui elle trouve des réponses dans ce que lui propose l’industrie pharmaceutique. L’exposition à la Ferme des Tilleuls, ainsi que le documentaire et le livre qu’ont conçus le journaliste Arnaud Robert et le photographe Paolo Woods, s’interrogent sur l’usage des diverses molécules produites par la recherche scientifique. Les deux créateurs proposent donc un regard critique sur l’emprise des médicaments, sans pourtant jeter l’anathème sur ceux-ci. Beaucoup d’entre eux sont en effet indispensables. C’est leur surconsommation et leur abus, ainsi que les incitations des entreprises pharmaceutiques à les consommer, qui posent problème. Sait-on par exemple que le chiffre d’affaires mondial de celles-ci atteint 1250 milliards de dollars, soit trois fois le coût des armements, et huit fois plus que l’industrie des jeux vidéo?

Des bodybuilders à bout de souffle

L’exposition propose donc une série de photos, accompagnées de courts textes, prises partout dans le monde. En Amérique latine, elle met le doigt sur un problème endémique, les grossesses précoces d’adolescentes, en général abandonnées par leur partenaire. Dans le cas présent, la prise de la pilule contraceptive apparaît bien comme un élément positif. Informatives, ces photographies en couleurs revêtent aussi une valeur esthétique. Ces jeunes femmes enceintes ou portant un bébé dans leurs bras juvéniles posent toutes devant un fond qui évoque une faune et une jungle idéalisées.

Beaucoup plus inquiétant apparaît le recours de nombreux adolescent.es étasunien.nes aux psychostimulants, tels l’amphétamine, censés accroître leur capacité de concentration. Quant aux stimulants sexuels, illustrés par l’exemple du gigolo de luxe italien Roy pour satisfaire ses «clientes», ils donnent une image de survirilité. Celle-ci est aussi illustrée par les photos des adeptes du culturisme (les bodybuilders) en Inde et ailleurs. Une «virilité» d’ailleurs paradoxale que crée la consommation des stéroïdes comme la cortisone, car en réalité ces muscles hypertrophiés fondent et ne déploient pas de force réelle…

Surconsommation problématique

Quant aux homosexuels israéliens, nombreux à Tel-Aviv, ils ont volontiers recours au PrEP, censé prémunir contre le sida, le bon vieux préservatif leur semblant obsolète. Une autre série de clichés particulièrement parlante est consacrée à l’étalage des pharmacies familiales que, peu ou prou, nous détenons tous et toutes chez nous. Et parmi ces innombrables pilules, combien sont sans doute échues depuis longtemps? Répétons-le, le but des concepteurs de l’exposition n’est nullement de condamner la médecine moderne en général, mais de susciter chez les spectateurs une prise de conscience sur la surconsommation médicamenteuse à laquelle nous incite une industrie très lucrative. Celle-ci participe même de la micro-économie dans des pays d’Afrique, où des vendeurs de médicaments ambulants (dont on ose espérer qu’ils ne sont pas tous périmés) portent sur leur tête de véritables pyramides de pilules. Terminons ce parcours par une image très forte, celle d’un grand malade français ingurgitant son médicament ultime, un barbiturique, dans le cadre du suicide assisté.

On ne manquera pas, lors de la visite de la Ferme des Tilleuls, de suivre la progression du montage d’ORGANuGAMME de Danielle Jacqui, cette œuvre monumentale faite de milliers de pièces de céramiques montées sur une structure métallique de 14 mètres de haut! Après son inauguration, prévue pour l’été 2022, ce travail extraordinaire qui rappelle un peu celui du facteur Cheval, devrait attirer les foules à Renens, une commune qui s’affirme de plus en plus comme un nouveau centre culturel. n

Happy pills. Une exposition d’Arnaud Robert et Paolo Woods, Ferme des Tilleuls, rue de Lausanne 52, Renens, jusqu’au 16 janvier 2022.