Ne pas se laisser broyer

Livre • L’ancien conseiller national socialiste et dirigeant syndical Jean-Claude Rennwald navigue de l’intime au politique. Il aborde son double cancer et revient sur la pandémie mondiale liée au Covid.

Rennwald fait un lien entre souffrance personnelle et celle du monde face au Covid. (parlement.ch)

Au-delà des constats médicaux, se révèle un véritable livre politique et programmatique. Frappé par un cancer du côlon en 2012, puis un autre de la prostate quatre ans plus tard, le tribun socialiste, qui n’est pas du genre à baisser les bras et à se laisser abattre, débute son livre par un journal de bord de la traversée de sa maladie.

Oui, il peut…

Soigné à Bâle, du fait qu’il «n’y a pas assez de volume» à Delémont suivant le jargon du new management, au large de 38 séances radio thérapie, on le suit dans son quotidien ne laissant presque aucune place au découragement. On est loin du Mars signé Fritz Zorn, où un membre de la bourgeoise zurichoise miné par le conformisme de son milieu raconte son existence vide et sans désir.
Volontiers volontariste, l’ancien dirigeant syndical livre un peu de sa vie privée, notamment son amour pour les arts (peinture, musique ou lecture), la bonne bouffe, ainsi que pour sa femme ou ses enfants, voire sa vie intime quand il évoque la nécessité de prendre avant érection du tadalafil, médicament contre les troubles érectiles. Dur, dur.

Souffrances communes

Sa guérison face au crabe coïncide avec l’apparition de la pandémie du Covid,qui occupera l’actualité durant les deux années suivantes. Outre un panorama précis, exhaustif et détaillé sur des mesures prises par la Confédération et les cantons pour contrer l’épidémie, le livre ouvre sur une large réflexion politique sur notre société. Le secteur de la santé en étant un révélateur, il propose de nombreuses mesures pour l’après Covid.

En préambule, il explique le lien entre son cas et la menace mortelle mondiale. «Le mot souffrance est celui qui s’applique le mieux aux deux phénomènes. Souffrance individuelle dans un cas, souffrance collective dans l’autre, dans une sorte de face-à-face ou de jeu de miroirs», pose-t-il. Suivent des chapitres où il égrène les dysfonctionnements de notre monde. Il y a d’abord les déséquilibres de notre écosystème, en citant Edgar Morin: «L’augmentation des occurrences des virus est liée à l’agriculture industrielle massive, plus particulièrement l’industrialisation de l’élevage animal.»

La pandémie contribue aussi à révéler les profondes inégalités de notre société, dénotant un «virus de classe». «L’accès aux soins et à la vaccination, de même que le télétravail ont été plus difficiles pour les catégories sociales défavorisées», souligne-t-il.

Il ajoute que le personnel de front face à la pandémie est souvent le plus mal payé et considéré, notamment les infirmières.S’agissant de ce dernier secteur infirmier, «certaines situations confinent parfois au scandale, en termes de salaires, de temps de travail ou de difficultés à remplir leurs obligations sociales et familiales», relève l’auteur.

Pistes de changement

Dans le sous-chapitre, Suisse, un interventionnisme inédit, l’homme né en 1958 se félicite que les dogmes de la non-intervention étatique aient été battus en brèche. «On a assisté à un retour en force de l’Etat comme acteur majeur de la vie politique, sociale et économique, en ce sens que sans les 70 milliards investis par la Confédération dans des aides à certains secteurs ou pour permettre à des centaines de milliers de travailleurs de toucher des indemnités de chômage partiel plutôt que d’être licenciés, des pans entiers de l’économie suisse se seraient effondrés», explique le Jurassien.

Dans la dernière partie de son livre, le politique ouvre des pistes de transformation tous azimuts pour la Suisse. Elles passent par des solutions de transition écologique – nouvelles énergies, revitalisation des sols, amélioration du tri des déchets -,de réduction des inégalités notamment celles des salaires femmes/hommes, de partage des richesses, en développant les investissements publics dans l’éducation, la santé et l’environnement. Mais aussi de refonte de la fiscalité via l’imposition des héritages, l’impôt progressif et l’impôt sur les grandes fortunes et une taxation des entreprises qui opèrent aux quatre coins de la planète. Il revendique aussi la nécessité de revaloriser les métiers utiles, protéger la souveraineté médicale en matière de production, développer une solidarité sanitaire internationale et humaine, ou réduire la durée du travail.

Modérer l’économie

Citant le sociologue franco-brésilien Michael Löwy, Rennwald considère qu’il ne faut pas opposer croissance et décroissance, mais distinguer trois types d’activités: «Celles qu’il faut détruire: l’armement, le nucléaire. Celles qu’il faut modérer: l’automobile, l’industrie du tabac. Celles qu’il faut fortement développer: la formation, les énergies renouvelables, les technologies de la communication, les transports et les services publics ou encore l’agriculture biologique et de proximité». La prescription sera-t-elle suivie d’effets? On l’espère.
Et alors cette fameuse machine à saucisses, qui donne le nom à son titre? Il s’agit d’une comparaison entre une image de Tintin en Amérique, où l’on voit des vaches qui entrent dans une machine pour en ressortir sous forme de saucisses et ses séances de radiothérapie. Avec un leitmotiv: il faut empêcher cette machine de nous broyer tous. Une leçon à méditer à l’heure de la possible sortie progressive de la pandémie.

Jean-Claude Rennwald, La machine à saucisses, du cancer à une pandémie, récit médical et politique. Ed. de l’Aire, 2021, 253 p.