Loi Covid, un débat «chaotique»

Votations • La législation concernant la gestion de la crise sanitaire sera soumise pour la seconde fois au peuple suisse. Décryptage.

Le certificat sanitaire ou «pass covid» ouvre-t-il la voie à une surveillance accrue des citoyen.es? (Jernej Furman)

Le 28 novembre prochain, la population est à nouveau appelée à se prononcer sur la «Loi Covid». Cela dans un contexte où la société se tend autour des questions du certificat sanitaire et de la vaccination, avec encore récemment près de 3000 manifestants.es «anti-pass» à Genève. A Berne, depuis plusieurs semaines, la place fédérale est régulièrement grillagée, canons à eau et balles en caoutchouc y sont utilisés. Des événements assez rares pour être soulignés. La votation à venir constitue une occasion de débat public sur la gestion, économique et sanitaire de la crise, qui risque de finir en occasion manquée. Voici quelques éléments pour le nourrir.

Un long parcours

Pour comprendre l’objet du scrutin à venir, il faut remonter à la votation du 13 juin 2021 portant sur la «Loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral (CF) visant à surmonter l’épidémie de Covid-19», abrégée en «Loi Covid». Il s’agissait d’un référendum qui attaquait la législation adoptée par le Parlement, en septembre 2020, fixant les mesures supplémentaires à la loi sur les épidémies, que le CF peut utiliser en matière de lutte contre la pandémie, et afin de limiter les dommages sur l’économie.

Alors qu’à la mi-mars, le Parlement validait le scrutin, il a amendé la loi. Ces amendements en cours de route expliquent possiblement pourquoi certains articles ne figuraient pas dans le livret d’explications du CF distribué par voie postale, parmi lesquels l’article 6a qui a posé la base légale du controversé certificat. Après que le peuple a accepté la loi par 60% des voix, un nouveau référendum a abouti, il cible cette fois exclusivement les modifications de la loi adoptées par le Parlement en mars.

Une loi composite

Ces modifications sont de plusieurs ordres. Il y a d’un côté les mesures sanitaires. La première, permet l’existence du certificat sanitaire, la seconde ouvre à «l’optimisation» du traçage des contacts. Ceci avec la possibilité pour la Confédération d’obliger les cantons à l’améliorer, en dédommageant ces mêmes cantons pour les dépenses qui en découlent. La troisième autorise le soutien fédéral à la mise en œuvre de tests. Elle règle l’acquisition et la production de biens médicaux importants. La dernière dispense les personnes vaccinées et guéries de l’obligation de quarantaine en cas de contact avec une personne testée positive.

De l’autre côté, on trouve des mesures économiques. Ainsi les modifications qui ont permis l’augmentation du nombre d’indemnités journalières allouées aux personnes au chômage, l’extension de celles en cas de réduction de l’horaire de travail. Mais encore des allocations pour perte de gain allouées aux indépendant.es, dont le chiffre d’affaires a reculé de 30% (contre 40% auparavant). Parmi ces mesures, on trouve également la compensation jusqu’à un certain montant des pertes publicitaires des stations de radio et de télévision privées. Et l’indemnisation des organisateurs de manifestations publiques ayant une importance supra-cantonale qui ne peuvent, ou n’ont pu avoir eu lieu en raison de la pandémie.

Une seconde fois, la population a donc à voter conjointement des mesures sanitaires et économiques. A nouveau, il sera impossible de s’opposer au certificat tout en acceptant les aides, ou l’inverse. A cette impossibilité, s’ajoute le fait que le comité référendaire, les Amis de la Constitution (AC), une association fondée en juillet 2020 et qui avait déjà mené à la première votation, cible sa communication sur les questions de certificat, de vaccination et du traçage de la population. Selon elle, avec la loi, les personnes non-vaccinées feraient l’objet d’une discrimination, la nécessité d’un certificat Covid serait une contrainte indirecte à la vaccination, ce qui fracturerait la société et mènerait à «une surveillance électronique de masse». La campagne risque donc fort de tourner autour de ces thématiques. Cela d’autant plus que le principal (seul?) soutien d’AC est l’UDC qui en fait de même. Le parti d’extrême droite prétend vouloir dire «non» à «la discrimination (sic) et à la division», ainsi qu’à la «surveillance de masse» ajoutant lui aussi vouloir lutter contre la «tutelle autoritaire de l’Etat».

Il faut préciser que la frontière entre les deux entités est poreuse. En effet, le site internet d’AC renvoie vers un «site de campagne» baptisé loicovid-non.ch. Son «comité» compte de nombreux hommes et femmes politiques de l’UDC comme signataires, dont des conseiller.ères cantonales –on trouve à leurs côtés un «guérisseur». Non seulement, le débat est ainsi centré sur le certificat, mais il est nourri de propos peu scientifiques, voir conspirationnistes. Ainsi, la porte-parole d’AC déclarait récemment au 19h30 (RTS), «il existe des moyens pour soigner (le Covid). Il existe des médecins qui soignent. Il faudrait laisser les médecins soigner», laissant penser que des médecins disposant de traitements seraient empêchés de les utiliser. Ceci avant d’ajouter «vacciné.es et non-vacciné.es sont tout aussi contagieux». Et de reconnaître le contraire assorti d’un «mais il y a toujours un risque de transmettre (le virus)». Or ce débat sur la surveillance est porté par l’UDC ayant pourtant fait par le passé campagne pour l’instauration de lois en permettant une. Ainsi la loi sur les renseignements et celle sur les mesures policières contre le terrorisme.

Union sans débat

En face tous les autres partis appellent à valider la loi, du PLR au PDC en passant par le PS et les Vert.es ou le PST/POP. Des partis qui semblent faire fi de celles et ceux pour qui il ne reste d’autres solutions que de renoncer à la «liberté» de ne pas se vacciner qu’on leur avait promis, pour continuer à avoir une vie sociale et culturelle, les tests étant devenus payants et donc inaccessibles aux plus précaires. Des personnes qui pourraient finir dans les cortèges d’opposition menés par l’extrême droite.

La question des aides économiques, en ce qui concerne les partis de la gauche, a dû laisser peu de doutes quant au choix à faire. Il est à ce propos intéressant de noter qu’aucun parti, même à droite, ne semble s’y opposer spécifiquement, pour le moment. Ce volet risque d’être peu, ou pas, discuté.

Le certificat, même si sanitaire et délimité légalement, est bien un outil de surveillance. C’est peut-être ce que les militants.es de la gauche apartisane qui défilaient contre lui et l’extrême droite, à Genève le 6 octobre, sous une présence policière «démesurée», ou ces étudiant.es qui battaient le pavé lausannois, à la fin septembre, essayent de nous dire. Tout comme ces acteur.trices de la vie culturelle et sociale qui refusèrent, un temps, de contrôler leur clientèle, rejetant ce «rôle policier» qu’on leur assigne.

N’est-il pas dangereux de laisser dans les seules mains de ceux qui ont participé par le passé à l’instauration de surveillances de masse, qu’ils prétendent combattre aujourd’hui, le débat pour qu’une technologie, adoptée au travers d’un amalgame de sanitaire et d’économie, ne se pérennise pas par-delà le Covid?