Bolsonaro, les maux pour le dire

Brésil • Les mises en cause du Président d’extrême droite du pays d’Amérique latine le plus peuplé pour crimes contre l’humanité se précisent. Au cœur d’une crise Covid intensément mortifère pour ses 220 millions d’habitant.es., les lumières de Fernanda Melchionna, députée brésilienne de passage en Suisse.

Jair Bolosonaro est sous le coup de 9 chefs d’accusations lancés par une commission du parlement», explique Fernanda Melchionna. (Cleia Viana)

Originaire du Rio Grande do Sul, au sud du pays, Fernanda Melchionna est depuis 2018 députée fédérale brésilienne du Parti socialisme et liberté (PSOL), formation fondée en 2004 par une scission de l’aile gauche du Parti des travailleurs (PT) de Lula. De passage en Suisse, à l’invitation du CETIM pour la Campagne mondiale pour mettre fin à l’impunité des sociétés transnationales, elle revient sur le paysage politique brésilien et l’autocratisme du président Bolsonaro.

Une commission d’enquête parlementaire (CPI) sur la pandémie a approuvé un rapport accablant. Il recommande l’inculpation du président Bolosonaro. Le texte sera transmis au parquet. Que dit-il?
Fernanda Melchionna Il montre les crimes contre l’humanité commis par le gouvernement durant la pandémie. Celui-ci a réalisé une union avec le négationnisme et la corruption, en faisant le pari d’une immunité collective face au Covid, ce qui a entraîné une surmortalité au Brésil. Dans notre pays, nous avons dénombré plus de 600’000 personnes décédées du fait de la pandémie. Ces morts auraient pu être évitées, si Bolsonaro n’avait pas persisté dans sa politique criminelle.

Le rapport officiel de la CPI, validé par les Chambres, recommande aussi l’inculpation de quelque 80 personnes, dont plusieurs ministres, ex-ministres, compagnies, et les trois fils aînés de Bolsonaro, tous des élus ayant propagé des fakes news sur le Covid. De même que le Ministre de la Santé, du fait de sa gestion de la crise à Manaus, où l’on a envoyé de l’hydroxychloroquine plutôt que des appareils de ventilation. Cela a entraîné des morts. Le gouvernement en a été avisé. Celui-ci a aussi couvert la recherche de profit de certains groupes durant la crise. Le groupement hospitalier et service de mutuelle brésilien, Prevent Senior a ainsi fait des tests expérimentaux de médicaments sur des patients-cobayes sans autorisation.

Le plus important reste que Jair Bolsonaro a été accusé de neuf crimes, ce qui pourrait la valoir une peine de 78 ans de prison. Il est mis en cause pour avoir propagé la maladie, pour charlatanerie concernant de faux traitements. Mais aussi de crimes contre les mesures de santé et contre l’humanité. Nous ferons tout ce qui nous est possible pour favoriser sa destitution. La solidarité internationale est aussi importante pour y parvenir.

Quelle est l’ambiance politique aujourd’hui?

Le président est rejeté par le peuple. Les enquêtes d’opinion montrent que 60% de la population ne l’apprécie pas, de même que son gouvernement. La crise économique est profonde, avec 20 millions de personnes dans la pauvreté extrême. Nous avons 14,1 millions de sans-emploi, la faim progresse, du fait de la hausse des coûts alimentaires et des combustibles. Bolsonaro est en minorité, mais chaque fois qu’il est isolé, il s’engage dans une politique pour l’extrême-droite, faisant des discours contre les libertés démocratiques, propageant des fake news ou appelant à des manifestations inconstitutionnelles à la limite du coup d’Etat comme il l’a fait le 7 septembre dernier. Pour nous, il est très important qu’il soit jugé maintenant et ne pas tout jouer avec le calendrier électoral de 2022.

Et ce pour deux raisons. Tant que Bolsonaro est au pouvoir, notre peuple va souffrir du coronavirus ou de la crise sociale. De plus, il ne va pas accepter les résultats des urnes et faire des provocations. Nous ne voulons pas compter sur le hasard pour la présidentielle. Il importe d’avoir une unité d’action dans la rue pour aller vers cette destitution et faire un débat de fond sur un programme économique et politique de sortie de crise. Pour le PSOL, il est fondamental de développer un programme de changements radicaux, anticapitaliste et de mobilisation. Il y a certains secteurs à gauche qui veulent attendre les élections et battre Bolsonaro, mais pour nous, c’est dangereux et irresponsable.

Comment voyez-vous ces présidentielles de 2022?

Le moment du changement est plus que nécessaire. Nous voulons évincer Bolsonaro du pouvoir, en faisant appel à la rue. Accusé de crimes contre l’humanité et contre les droits humains, ce criminel ne peut continuer au pouvoir, en contrôlant le pouvoir d’Etat pour attaquer son propre peuple. Le PSOL ira aux élections sur la base d’une unité d’action, tout en maintenant notre indépendance politique, à travers un programme de gauche, qui passe par l’imposition des grandes fortunes, la lutte contre un système financier, qui s’est enrichi à travers des rentrées financières illégales d’aide publique.

Notre programme va dans le sens de changements populaires, qui peuvent aider le peuple face à un parlement inégalitaire et oligarchique. Nous avons beaucoup de temps avant les élections, il est important d’avoir un candidat de la gauche socialiste pour vaincre Bolsonaro au deuxième tour.

Pourriez-vous évoquer la politique climatique de Bolsonaro, notamment en ce qui concerne l’Amazonie, alors qu’une ONG autrichienne, All Rise, a récemment déposé plainte à la Cour pénale internationale (CPI) pour «crimes contre l’humanité» contre votre président?

Le gouvernement Bolsonaro n’a aucun programme politique face à l’urgence climatique. Bien au contraire, il a notoirement accéléré la déforestation et l’avancée sur les terres indigènes par les brûlis. Toutes les agences de protection de l’environnement ou de justice du climat ont vu depuis 2019 leur financement revu à la baisse. La politique environnementale du gouvernement est anti-écologique. Il a donné carte blanche aux multinationales et aux latifundiaires du Brésil pour aller de l’avant.

Quel est le poids de la religion, notamment évangéliste, dans la politique brésilienne?

Cette influence a beaucoup crû depuis une quinzaine d’années. Les secteurs majoritaires des fondamentalistes évangélistes sont de droite et développent une stratégie de conquête du pouvoir. Ceci même si certains éléments peuvent être progressistes comme le démontre l’un de nos membres qui est pasteur. Au congrès, il y a un groupe proche de la Bible, qui interdit toute avancée des droits de femmes ou de la communauté LGBTIQ ou refuse des propositions basiques en matière de droits humains.

Le mariage civil a ainsi été introduit sous la pression de la communauté gay, mais à travers une décision du Tribunal suprême fédéral en 2011. Le bloc évangélique est très lié à Jair Bolsonaro tout comme les patrons de l’agrobusiness voulant continuer dans leur marche vers la déforestation ou des secteurs fascistes de la société, qui sont autant d’appuis pour ce gouvernement autocrate d’extrême droit.