Face au «Grand Déguerpissement»

Bénin • C’est sous une pluie dense et les regards des personnes du lieu massées le long de la route que les pelleteuses ont attaqué, le 13 septembre dernier, la démolition des maisons de Fiyegnon 1, à Cotonou. (Par ETi)

Les projets d’assainissements gouvernementaux laissent les populations sans habitation. (DR)

C’est sous une pluie dense et les regards des habitant‧es massé‧es le long de la route que les pelleteuses ont attaqué, ce 13 septembre 2021, la démolition des maisons de Fiyegnon 1, à Cotonou. Ce quartier populaire de la capitale économique du Bénin, situé sur la côte, figurait parmi d’autres sur la liste des zones ciblées par le plan de « Grand Déguerpissement » du gouvernement béninois. Ce projet d’assainissement de la ville fait partie d’un plus vaste programme de développement économique porté le président Patrice Talon et salué par le FMI et la Banque Mondiale. Cherchant à faire du Bénin un pays plus attractif, notamment pour les investisseurs privés et les touristes, Monsieur Talon a fait de l’embellissement de Cotonou et de sa zone côtière une de ses priorités.

Le scénario s’est ainsi reproduit à maintes reprises durant ces dernières années. Des habitations, échoppes et même des marchés entiers ont été rasés par les bulldozers, sous les yeux de leurs occupant‧es impuissant‧es. Car, en l’absence de titres fonciers reconnus par les autorités en place, les constructions sont déclarées illégales et, partant, leur démolition légitime. En conséquence de quoi, les personnes évacuées ne sont la plupart du temps ni relogées ni dédommagées.

Si le 15 septembre, le Conseil des Ministres du Bénin a annoncé débloquer un fonds pour reloger les personnes évacuées de Fiyegnon 1 et d’un autre quartier du centre-ville, il reste à voir si cette promesse sera effectivement tenue. Pour l’heure, le Chef du Quartier du Fiyegnon 1 dit ne pas avoir connaissance d’un plan de relogement et, une semaine après le passage des pelleteuses, des familles dormaient encore sur les gravats ou la plage, sous des abris de fortune construits avec des branches et des tissus pour s’abriter en cette pleine saison des pluies.

Maya [3], ancienne gérante d’un maquis (restaurant informel) qu’elle avait construit avec ses économies et qui faisait vivre sa famille, s’est subitement retrouvée sans emploi lorsque le quartier où se trouvait l’établissement a été démoli. Si elle a pu s’en sortir grâce à l’aide d’habitantes solidaires, elle n’a jamais reçu aucun dédommagement pour la perte de son commerce. Trois ans après sa destruction, la zone où se trouvait son maquis n’a par ailleurs jamais été reconstruite.

Quartiers précarisés ciblés

La non-reconnaissance de leur existence, l’absence d’infrastructures de base et la menace constante d’évictions frappent de nombreux quartiers pauvres au Bénin. Suivant l’exemple de leurs voisins de Lagos, et avec l’appui de l’ONG Justice & Empowerment Initiatives (JEI), 29 communautés de Cotonou ont décidé de se rassembler au sein d’une «Fédération des habitant.es des zones de taudis et bidonvilles du Bénin».

Organisés en plusieurs départements (médias, juridique, profilage, caisse d’épargne), ses membres œuvrent pour faire entendre leurs voix, visibiliser leurs quartiers et défendre leur droit au logement. Une caisse d’épargne collective a également été mise en place afin de pouvoir construire ou rénover certaines infrastructures. Par son affiliation à l’International Slum Dwellers, un réseau international d’organisations similaires, la Fédération bénéficie aussi de l’expérience de ces dernières dans le développement de stratégies et d’outils utiles à la défense et à l’amélioration des quartiers, par exemple des méthodes de recensement et de cartographie détaillée des habitations.

Action préventive

Directrice de JEI, Megan S. Chapman explique que le défi est de pouvoir agir bien avant que les quartiers ne soient la cible d’une éviction. Car il faut des années de travail en amont pour éviter un «déguerpissement». Cela passe par le renforcement des connaissances juridiques des habitant.es sur le droit du logement, des démarches d’obtention de titres de propriété afin d’assurer la sécurité foncière des habitations. Ou encore par des actions d’assainissement des quartiers en collaboration avec les autorités, afin d’inciter ces dernières à en Reconnaître et en formaliser l’existence.

Des exemples de bidonvilles ayant été «remis aux normes», au lieu d’être rasés, existent et ont permis de montrer qu’il vaut mieux rénover que reloger si l’on veut résoudre le problème et non le déplacer. Car les relogements, généralement proposés dans des zones éloignées du centre-ville, ne sont pas une option viable pour des personnes qui vivent principalement de la vente informelle. Toutefois, la rénovation n’est possible que si elle inclut les habitant.es dans le processus, notamment parce qu’eux et elles seul.es possèdent les informations précises sur l’état de leurs quartiers.

Implication citoyenne

A Porto Alegre (Brésil), le système de budget participatif instauré en 1988 par le Parti des travailleurs a démontré les bénéfices de la participation citoyenne à l’élaboration des politiques publiques: «La proportion de la population de Porto Alegre ayant accès à l’eau est passée de 49% en 1989 à 98% en 1996… Les moyens de transport ont été étendus aux zones périphériques, la qualité et l’ampleur des travaux et des services publics – tels que les revêtements de routes, les projets de construction de logements et d’urbanisme – se sont accrus, de nombreux taudis ont été assainis, la moitié des rues sont désormais pavées et la corruption a reculé.» [2]

Outre le fait que les évictions bafouent le droit fondamental au logement, le Bénin aurait donc tout à gagner à intégrer les habitant‧es des bidonvilles à ses projets de développement. « Nous, on a des idées fantastiques pour contribuer au développement de nos quartiers. Mais nous ne voulons pas d’un développement qui exclut, qui ignore l’avis des populations », martèle Moise Awonlonsou, membre de la Fédération et habitant de Toyoyomé, un quartier bidonville situé sur la berge de Cotonou et entièrement inondé à chaque saison des pluies.

Une voix qu’il ferait bon entendre, d’autant que les estimations de l’ONU, selon lesquelles le nombre de personnes qui habiteront dans des bidonvilles en 2030 atteindra les 2 milliards [3] – soit le quart de la population mondiale – font comprendre que l’adoption de politiques urbaines horizontales et inclusives est un enjeux démocratique global.

1. Nom d’emprunt

2. Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-HABITAT), Rapport mondial sur les établissements humains,2003, pp. 142-143.

3. ibid

Pour soutenir la Fédération du Bénin, par le biais de l’application WorldRemit aux numéros suivants: +229 67 59 99 77 ou +229 97 40 02 60

 

International Slum Dwellers

Le Réseau international des habitant.es des bidonvilles est un mouvement international de pauvres urbains qui lutte pour la reconnaissance et la dignité des bidonvilles. Il a été créé en 1996 dans le but de porter la voix des pauvres urbains sur le plan international. Constitué d’organisations habitant.es de bidonvilles de plus de 32 pays et de centaines de villes en Afrique, Asie et Amérique Latine, le Réseau sert de plateforme de partage d’informations et d’expériences entre ses membres. Des rencontres internationales sont organisées entre les associations. Et les données collectées par chacune d’elles sont digitalisées et rendues accessibles à toutes. Cette mise en commun a permis de révéler la similarité des problèmes rencontrés par les populations des bidonvilles à travers le globe. Ces informations ont notamment été partagées sur la chaîne Youtube de l’organisation dans le cadre de la campagne «Know Your City»