L’autogestion du Marx Café

Genève • L’occupation de la cafétéria de l’université fêtait, mardi, sa première semaine. Reportage sur place.

Les 900 assiettes vides figurent les près de mille personnes qui, chaque semaine, n’ont pas accès à la distribution de nourriture de l’épicerie solidaire La Farce. (JSo)

Il est presque midi. A l’entrée du bâtiment de d’Uni-mail (Unige), les militant.es qui, depuis une semaine, occupent jour et nuit la cafétéria, baptisée «Marx Café», pour revendiquer des repas à trois francs s’affairent à installer des friteuses. Ce qui visiblement n’est pas du goût de tout le monde. «Ça pue! On est à l’uni pas dans une baraque à frites», lance une étudiante en rentrant. Derrière elle, une enseignante de géographie affirme a contrario et à son tour, «c’est super ce que vous faites, bravo». Elle nous apprend que le Conseil participatif, qui réunit des membres du corps professoral, technique et estudiantin, a voté la veille une motion de soutien aux occupant.es.

Devant la porte, un groupe d’étudiant.es se dispute, l’un d’eux voit d’un mauvais œil l’action de «ces gauchos». «Moi, j’ai pas besoin de repas à 3 francs et je pourrais en bénéficier, c’est pas normal!», lance-t-il. «J’ai de la peine à boucler les fins de mois et je ne remplis pas les conditions pour obtenir une bourse. Si c’est dur pour moi, je pense qu’il y a des gens dans des situations encore pires. C’est facile dans ta position de dire ça!» rétorque sèchement sa camarade de classe.

A l’intérieur, l’ambiance est douce et autogestionnaire. Autour de la machine à café, un migrant afghan, venu prêter main-forte au mouvement, aide une étudiante à faire fonctionner l’appareil. Pendant ce temps, un jeune roumain filme les plats, qui commencent à être prêts, pour convier sa famille au repas. La pratique du «prix libre», selon laquelle chacun.e mange à sa faim et règle selon ses moyens, a abattu la barrière séparant les classes sociales.

«Anticaf’italisme»

Confortablement installé.es dans des canapés apportés par les militant.es, des étudiant.es (ou non) travaillent et discutent, alors qu’une importante file d’attente se forme. «A table!», lance un militant à travers ce lieu désormais débarrassé du «caf’italisme». Au menu: quinoa, ou riz, avec carottes, pois-chiches… Tout a été préparé par des militant.es et sera rangé après le repas. A vu d’œil, plusieurs centaines de personnes défileront en cette journée pour manger.

Cela représente un travail colossal, d’autant plus que l’université a interdit l’entrée des cuisines de l’établissement pour la durée de l’occupation. Une interdiction parmi d’autres. Un mail de l’Unige à la Conférence universitaire des associations étudiantes (CUAE), qui a lancé l’occupation, placardé au mur, en fait le détail. Les «conditions d’occupation nocturne» exigent une limitation à 30 du nombre de personnes, interdisent les allers-venues entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment entre 23 et 7 heures, et prohibent la consommation de «substances psychotropes» ainsi que l’utilisation de dispositifs sonores. Des conditions qui permettent, il faut le souligner, de mettre à l’abri pour la nuit des personnes vivant à la rue.

«Occupation sans faim»

Pour fêter leur «hebdoversaire», un discours et une action ont conclu le repas du jour. 900 assiettes vides ont été disposées au beau milieu de l’université. Elles figurent les près de mille personnes qui, chaque semaine, n’ont pas accès à la distribution de nourriture de l’épicerie solidaire La Farce faute de financement de l’Etat et de l’Unige.

«C’est exceptionnel ce qui est en train de se passer ici. En l’espace d’une semaine on s’est habitué.es à manger à prix libre tous les midis, à réchauffer nos tupperwares et avoir des espaces de travail, de réunion ou de détente à disposition en tout temps. On se demande vraiment pourquoi ce n’est pas comme ça tout le temps! Ces espaces sont aux étudiant.es, pas à la bourgeoisie!», clame Andreu, secrétaire syndical de la CUAE.

«Les autorités continuent à faire la sourde oreille. «Cette semaine, le rectorat a rencontré la Conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta (PS) pour discuter de l’instauration de repas à 3 francs et nous n’avons même pas été autorisé.es à y participer pour défendre nos positions, ce que le rectorat est de toute évidence incapable de faire», a-t-il expliqué.
Ceci avant de conclure. «On s’attelle à renverser le rapport de force, continuant la mobilisation et, avec vous, on parviendra à faire plier le rectorat et le Conseil d’Etat. On restera ici le temps qu’il faudra».

Les militant.es en appellent à toutes et tous, étudiant.e ou non, à venir leur porter main-forte tous les jours dès huit heures du matin, pour la préparation des repas, les courses ou encore le ménage. Au départ, on remarque une banderole au-dessus de la cafétéria. On peut y lire: «S’organiser, occuper, tout bloquer». Des mots d’ordre qui, au vu du succès de cette occupation, ont de quoi inspirer certaines gauches?