Pour être traités comme les autres travailleurs, ni plus ni moins

Belgique • Depuis fin octobre s’est ouvert à Bruxelles un procès impliquant la compagnie Deliveroo, société de livraison de repas. Le juge doit se prononcer sur le point de savoir si les coursiers à vélo sont des indépendants ou des salariés. (Par la rédaction de Solidaire)

La précarité des coursiers et livreurs est dénoncée. Ils demandent à devenir des salariés et bénéficier d’une couverture sociale. (Stefan Haehnel)

Le procès tant attendu qui oppose Deliveroo à l’auditorat du travail et plusieurs de ses livreurs se poursuit. Son objet: la relation de travail qui lie la multinationale à ses travailleurs. Les coursiers, soutenus par les syndicats, ainsi que l’auditorat estiment que les conditions sont réunies pour établir une relation salariée. Le PTB (Parti du Travail belge) plaide dans le même sens et dépose sa proposition de loi visant à instaurer la présomption réfragable (présomption légale pouvant être réfutée ou contestée par une preuve contraire de salariat pour les travailleurs des plateformes).

«Cette situation n’a que trop duré»

Le député bruxellois Youssef Handi- chi était présent devant le tribunal pour soutenir les travailleurs de plateforme et les syndicats dans leur combat: «Nous ne pouvons pas accepter que des travailleurs malades ou victimes d’un accident de travail ne puissent pas bénéficier de revenus de remplacement. Nous ne pouvons pas accepter que des travailleurs, qui bossent parfois jusqu’à 14 heures par jour, ne puissent pas bénéficier de congés payés. Nous ne pouvons pas accepter que des travailleurs, qui triment parfois le week-end, les jours fériés ou en soirée, ne puissent pas bénéficier de minima salariaux. Cette situation n’a que trop duré.»

Cette absence de protection sociale et de garanties en termes de droit du travail est le fruit de deux choses. D’une part, le mépris des grandes multinationales de plateforme vis-à-vis de leurs travailleurs et de la collectivité, en voulant rentabiliser leurs activités et en faisant travailler des personnes sous des statuts inadéquats. Que ce soit à travers le statut d’indépendant ou à travers le régime de l’économie collaborative, ce sont des droits fondamentaux que les plateformes retirent aux travailleurs. Mais ce sont également des sommes conséquentes qui ne rentrent pas dans les caisses de l’Etat au travers de cotisations sociales. D’autre part, l’absence de réponse forte des partis traditionnels et l’attitude permissive qu’ils adoptent vis-à-vis de ces grandes entreprises.

«Le monde politique ne peut plus permettre pareille situation, déclare la députée fédérale PTB Nadia Moscufo, en charge du dossier au Parlement fédéral. La relation de travail doit être clarifiée. Nous soutenons les positions des organisations syndicales et de l’auditorat du travail car il existe bel et bien un lien de subordination entre le travailleur et la plateforme. Contrairement à ce que prétendent les grandes plateformes, ces travailleurs ne peuvent pas organiser leur travail comme ils le souhaitent, ils ne peuvent pas fixer les tarifs, ils sont soumis au contrôle de la plateforme et encourent même des sanctions quand ils ne sui- vent pas à lettre les desiderata de la plateforme et de son algorithme tenu secret. Compte tenu de ces éléments, le statut d’indépendant ou le ‘‘sous- statut’’ de l’économie collaborative n’est pas adéquat. C’est le cas pour Deliveroo, et c’est l’enjeu du procès en cours, mais c’est également le cas d’autres plateformes comme Uber Eats. Il est dès lors temps de contraindre ces multinationales et de
les obliger à octroyer un véritable statut à leurs travailleurs.»

«Les travailleurs méritent le respect»

Lors de son intervention devant le tribunal, le responsable syndical à la CSC (Confédération des syndicats chrétiens) et fondateur de la plateforme United Freelancers, Martin Willems, expliquait que «les plate- formes veulent retarder les choses dans le but de créer un état de fait» et que dans ce cadre «le monde politique doit apporter une réponse claire, et vite». «En concertation avec les organisations syndicales, nous avons donc décidé de déposer une proposition de loi visant à instaurer la présomption réfragable de salariat pour les travailleurs des plateformes, ajoute Nadia Moscufo. Ainsi, on inverse la logique actuelle:ces travailleurs seront de facto des salariés, et ce sera à la plateforme elle-même, conformément à la législation sociale, de démontrer auprès d’une commission du SPF (Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale) qu’un autre régime peut s’appliquer. De cette manière, l’ensemble des livreurs et autres travailleurs de plateforme pourront enfin jouir d’une bonne protection sociale et de garanties salariales sans intenter de longs procès. Nous la présenterons prochainement au Parlement et espérons que l’ensemble des partis, en particulier ceux de gauche, la sou- tiendront. Les travailleurs méritent le respect. Ce n’est pas un slogan, ça doit être une réalité.»