Une taxe Netflix pour aider le cinéma suisse

Suisse • Les services de streaming et les diffuseurs étrangers devront affecter 4% de leurs recettes brutes réalisées en Suisse à la création cinématographique suisse indépendante. (Par Forlan Badel, Paru dans L’Encre rouge, adapté par la rédaction)

Le cinéma suisse pourrait profiter d’une taxe Netflix. (DR)

En septembre de cette année, le Conseil National a validé un projet de «Taxe Netflix». Celle-ci prévoit l’obligation pour les services de streaming (type Netflix, Disney+ ou encore Amazon Prime Video), ainsi que les diffuseurs télévisuels étrangers (TF1 ou M6 par exemple) de consacrer 4% de leur chiffre d’affaires réalisé en Suisse au secteur du cinéma helvétique. Soit via un investissement direct dans le cinéma suisse, soit via une taxe.

Cela a fait immédiatement réagir les jeunesses de droite, avec le lancement d’un référendum pour l’interdiction de cette taxe, porté par les jeunes du PLR, UDC et Vert’Libéraux, avec plusieurs arguments à l’appui. Notamment que cette taxe est «trop élevée et qu’elle se répercutera sur le prix des abonnements», que c’est «une atteinte à nos libertés et à celle des entreprises» et que, de toute façon, «les offres de streaming sont mieux accueillies par le public que les films suisses.» Ceux-ci ne s’adressant «qu’à un public de niche». Bref, cette loi serait «une injustice».

Arguments peu convaincants

Il est important de préciser les choses. Il existe déjà une taxe. En effet, les chaînes de télévision suisses doivent s’acquitter d’une taxe de 4% dans le soutien au cinéma du pays. La nouvelle taxe sera un élargissement de cette loi visant des gros diffuseurs étrangers qui font un chiffre d’affaires conséquent chez nous, sans rien reverser (hormis la TVA, aucun impôt et aucune autre taxe ne sont destinés aux diffuseurs de streaming et aux diffuseurs étrangers).
Cette loi leur demande simplement d’être logés à la même enseigne que les diffuseurs suisses. Il est aussi important de relever que cette taxe de 4 % se situe dans la moyenne basse des taxes sur les services de streaming. La France, par exemple, taxe à hauteur de 25% les services de streaming, avec une obligation d’investir directement au minimum 5% dans la production audiovisuelle française. L’Italie, elle, est à près de 20%. Avec 4%, la Suisse semble même ridicule à côté.

Dynamiser le cinéma suisse

Il est aussi important de noter les bienfaits économiques que peuvent avoir le cinéma (ou la culture de manière générale) sur l’économie locale. Récemment, le cabinet Ernst &Young a été chargé d’analyser l’impact économique de l’investissement de Cinéforom, fondation romande pour le cinéma, sur le cinéma romand entre 2013 et 2017. Il en est ressorti que Cinéforom a investi 39 millions de francs en 4 ans dans ce dernier et que cela a généré 122 millions de francs pour l’économie. Cette fameuse «Taxe Netflix» permettrait donc de dynamiser encore l’économie locale, en plus de la création d’emplois dans le monde audiovisuel. Le tout, non pas en s’attaquant à de «petites PME», mais bien à des GAFAM (Netflix, Amazon et Disney représentant un chiffre d’affaires total de plus de 400 milliards de dollars en 2020).

Le cinéma suisse n’est pas assez mis en avant

Dire que «le cinéma de Suisse est un cinéma de niche», qu’il «n’attire pas le public» est à côté de la plaque. Représentant PLR bernois, Christian Wasserfallen se demandait: «Mais quelle série ou quel film suisse avez-vous regardé ces derniers mois?», en essayant de démontrer que la Taxe Netflix était inutile. Le problème est bien plutôt que le cinéma suisse n’est pas mis en avant.

Au lieu d’essayer de l’étouffer et de le rendre inexistant, il faut profiter de ces canaux de streaming pour mettre en avant les réalisations helvétiques. La Confédération n’octroie qu’un budget de moins de 100 millions par an au septième art. A titre de comparaison, la France avait investi, via le CNC (Centre national du cinéma), 1,02 milliard d’euros en 2018 pour le cinéma. Ce budget atteignait encore 800 millions en 2020 en pleine crise Covid.

Réaliser un film coûte cher et nécessite un budget conséquent. Un technicien dans la vidéo gagne un salaire au minimum de 400 francs par jour de travail en Suisse (contre 200 euros en France). Selon les postes, ce salaire est beaucoup plus élevé. Un directeur de la photographie est payé au minimum 1000 francs par jour de travail (selon le salaire conseillé par le Syndicat Suisse Film et Vidéo de la SSFV). Le tout pour un temps de tournage qui oscille entre 40 et 60 jours de travail pour un long-métrage.

A cela s’ajoutent les frais de matériel qui coûte cher à la location, de déplacement, de location des lieux. Puis tout le budget de post-production. Et enfin le budget de communication, qui permettra au film d’être connu et regardé par la suite. Et c’est bien là où le bât blesse.

Il existe des films suisses et de qualité. Nous comptons de très bons travailleurs dans ce secteur. Mais ces films ne sont pas promus avant leur sortie. Nous sommes nombreux à pouvoir citer des dizaines de films en préparation venant des Etats-Unis ou de France, mais combien de films suisses? Comment les gens peuvent-ils aller voir un film s’ils ne savent même pas qu’il sort?

Pire: combien de films suisses sont à l’affiche des grandes salles de cinéma (type Pathé ou Arena)? Pratiquement aucun. Le cinéma suisse n’est pas favorisé, ni avant distribution du film, ni ensuite. Cette obligation de produire du contenu suisse pour Netflix, Amazon ou Disney permettra aussi de soutenir le cinéma helvétique auprès du grand public et de le faire sortir de son statut «de niche».