Les grévistes de Smood déterminés

Suisse • La grève des livreuses et livreurs de Smood a commencé le 2 novembre à Yverdon (VD) et s’est étendue à Neuchâtel, Nyon, Sion, Martigny, Fribourg, Lausanne et Genève. Parole aux intéressés. (Propos recueillis par Nino Bovay et Jordan Willemin)

Malgré des «contrats», les livreurs de Smood dénoncent des entorses aussi bien au niveau des salaires que des décomptes d’horaires. (Unia Genève)

Smood est actif dans la livraison de repas et, dans certains cantons, livre les courses à domicile pour Migros. Rappelons que les revendications des grévistes portent notamment sur une planification des horaires plus respectueuse, le paiement de toutes les heures effectuées, une distribution équitable des pourboires. Les Jeunes POP Vaud sont allés à leur rencontre, recueillant le témoignage de deux d’entre eux à Lausanne, Eric et Martin (prénoms d’emprunt).

Pourquoi faites-vous grève?

Eric On fait la grève estimant qu’on est sous-payés, et qu’en plus, nos pourboires sont volés. Les frais pour les carburants sont aussi assumés de notre poche et donc pas remboursés. Il y a beaucoup d’abus. Cela dure depuis des années, on n’en peut plus. On ne demande que la justice. Pour le moment, on est payé à la commission et non à l’heure. C’est injuste.

Est-ce que vous sentez une bonne motivation chez les grévistes?

Eric Globalement, ça se passe bien, même si tout le monde ne participe pas à la grève. Elle a commencé à Yverdon et a gagné des grandes villes de Suisse. On est donc sur une bonne dynamique. Nous voulons que Smood nous écoute et qu’on puisse aller à la table des négociations et réussir cette lutte.

Comment vous êtes-vous organisé.es pour faire que cette grève existe?

Eric Les employé.es ont essayé de regarder individuellement avec l’employeur pour régler les problèmes, mais cela n’a pas marché. On s’est alors tourné vers Unia, pour qu’il nous aide et nous soutienne. Le syndicat est de notre côté. Organisés, nous avons tenu des stands là où il y a du monde. Nous rencontrons aussi la population et faisons signer la pétition1. Avec cette mobilisation, on espère que Smood répondra favorablement à nos revendications.

Comment la population peut-elle vous aider?

Eric En signant la pétition. Il faut aussi que la réalité des livreurs soit diffusée au maximum. Des organisations écrivent des articles sur leur site pour faire connaître notre grève.

Martin Les clients chez Smood peuvent rédiger des notes pour dire que ce qui arrive aux livreurs ne va pas ou écrire des messages de soutien. La majorité des clients disent qu’ils nous sentent stressé.es. Ce stress est lié à ce que nous sommes en train de subir. On est à bout. On doit supporter la pression des restaurants, la pression d’arriver à temps chez les client.es et la pression des RH et managers, qui nous bombardent tout le temps de messages, en nous disant de faire ceci ou cela.
On craint toujours la pénalité, donc on essaye d’être speed, alors qu’on est toujours sur la route. Les transporteurs routiers doivent faire une pause de 30 minutes toutes les quatre heures. Elle n’est pas autorisée pour nous. Il m’est arrivé de travailler de 8 h à 17 h et de demander une petite pause pour manger un peu. On m’a dit alors «d’attendre encore la dernière». Et c’est horrible. Vous mettez votre vie en danger, de même que celle des autres. Si on travaille non-stop, c’est là que l’erreur arrive. Je crois que la direction le voit, mais elle ne veut pas agir ou intervenir.

Qu’en est-il de la grève dans les autres cantons et de la coordination entre vous?

Eric Elle se passe bien dans les autres cantons aussi. Des collègues d’Yverdon, Vevey et Montreux se joignent à nous pour faire bloc commun. Seuls, on peut aller vite, mais ensemble, on peut aller beaucoup plus loin. En fait, on lutte ensemble. On est dans une bonne dynamique et on a bon espoir de gagner cette lutte et ce sera une fierté! Pour nous, mais aussi pour les autres qui n’ont pas pu participer. Pour certains, la livraison est leur seule source de revenu. Ils ont leurs raisons pour ne pas participer à la grève et je peux les comprendre. Unia nous soutient activement. On est aussi content de l’appui de la population, qui est avec nous. On n’arrête pas de faire signer la pétition.

Un syndicaliste d’Unia On a des grèves dans onze villes, dont Neuchâtel, Fribourg, Martigny, Sion ou Genève. Entre les cantons, il y a coopération et coordination, avec des comités locaux et des gens se rencontrent. Les travailleuses et les travailleurs sont dans le même bateau et ont des revendications vraiment similaires, voire identiques. Il n’y a pas de concurrence. Au contraire. On voit qu’ensemble on est fort et on doit garder cette dimension collective.

Est-ce que vous sentez que vous mettez la pression sur Smood et la Migros (détenant 35% des parts de Smood)?

Eric Oui, on le sent. On voit qu’ils ont moins de monde pour livrer. Cela leur met vraiment des bâtons dans les roues. Smood a du mal à recruter car il y a cette mauvaise image qui est en train d’être véhiculée. Les médias ont joué un rôle très important dans ce sens, en diffusant des informations sur notre situation. On estime donc que Smood est mal par rapport au fait que l’on soit entré en grève.

Pensez-vous que votre grève peut aider des livreur.euses d’autres compagnies (Uber Eats…)?

Eric Oui, cela peut bien aider. A partir du moment où on peut gagner, ça peut donner des idées à d’autres qui connaissent de mauvaises conditions de travail, afin de suivre le mouvement. Pour rappel, je sais qu’à Genève, il y a le cas d’Uber Eats qui bloquait les pourboires. Les salarié.es ont lutté. Avec leur grève, ils ont réussi à peser dans la balance et pu récupérer leurs pourboires de manière transparente. Si nous arrivons à gagner, d’autres pourront s’en inspirer pour leurs luttes et gagner également.

Un dernier point à ajouter?

Eric Nous voulons exprimer toute notre reconnaissance et notre gratitude aux personnes qui nous soutiennent pour qu’on puisse être payé correctement, pour que les pourboires soient perçus de manière transparente et qu’il y ait beaucoup plus de respect envers les livreurs et les livreuses. C’est bien dommage qu’en Suisse, un pays de démocratie et de droits, ces patrons puissent profiter de nous. Je trouve cela injuste.
Cela ternit même l’image de la Suisse, c’est dommage. Mais le vrai problème se trouve dans ces patrons sans scrupules, qui nous font subir ces injustices. On trouve désormais que c’est complètement inacceptable. Il faut qu’ils nous écoutent, et à partir de là, on va pouvoir travailler ensemble.

Martin La confiance est rompue entre les livreurs et Smood et on ne peut la rétablir. Pour moi, ce travail est mon seul revenu. Je me suis donné vraiment à fond, payant de ma personne, de mon temps et même de ma santé. C’est comme une vitre qui est brisée. Ce n’est pas possible de la réparer, parce que cela va toujours laisser des traces. Du coup, je n’y crois plus, car ils ont vraiment profité de nous et surexploités. J’étais ignorant, je ne savais pas. On m’a proposé un contrat de 10 pages que je ne comprenais pas. J’étais juste motivé à travailler, à donner de ma personne, mais les contrats ne sont vraiment pas clairs. Ce que l’on demande, c’est juste d’être salariés comme tout le monde. Si je suis à disposition, j’aimerais être rémunéré pour cette charge et c’est faisable.
Pourquoi réquisitionner 60 livreurs par jour, sachant qu’il n’y a pas de travail pour tous? Pourquoi la direction ne fait pas les calculs pour que les autres livreurs puissent avoir des jours de repos, et puissent profiter de leur vie privée. On veut pouvoir avoir un salaire fixe, ne pas craindre la fin du mois. J’ai mes amis qui sont contents vers le 22-23 du mois, car ils vont recevoir leur salaire dans les deux jours suivants. Mais nous, on appréhende toujours ces fins de mois, parce que l’on ne sait pas ce qu’on va recevoir. Et cela fait une boule au ventre. Même si j’ai travaillé autant que le mois précédent, je ne suis pas sûr d’obtenir le même salaire. Et ça, ce n’est pas normal.

Mais encore…

Martin Smood est une grande boîte, mais elle a fait son nom grâce aux livreurs, pas par ses services. Les livreurs se sont vraiment donnés au début de la pandémie. On était là, au front. On ne demande pas les applaudissements des infirmiers ou des policiers. On veut juste qu’on nous rémunère correctement et dignement comme quelqu’un qui a passé son temps à travailler. On veut recevoir quelque chose et pouvoir aussi profiter de notre vie privée , parce que là, on n’en a pas. On est tout le temps bombardé par des messages. On en reçoit même les jours de repos. Il serait possible de faire différemment, car ils ont des gens dans l’informatique, qui ont créé cette plateforme et pourraient concevoir un programme qui convienne aux livreurs, ainsi qu’aux clients. Quand le client n’est pas content, c’est à nous qu’il fait part de son mécontentement. Alors que notre mission n’est que de prendre un paquet et de le déposer.

Du coup, Smood ne s’est pas engagé envers ses livreurs. Il en va de même avec les managers, qui n’en sont pas vraiment. S’ils doivent transmettre les directives de la hiérarchie, ils sont tenus d’écouter les soucis des employés, pour faire remonter leurs problèmes au sommet. Leur travail n’est pas juste de donner des directives aux employés. Mais on constate qu’ils n’osent jamais rapporter nos soucis à la hiérarchie. Ce ne sont pas des managers compétents, ce qui explique que la majorité des livreurs ont beaucoup de frustration. Et puis ils ont des salaires fixes, ils n’en ont rien à faire, ils font ce qu’ils veulent, alors que nous devons subir des conditions pénibles. Il y a trop d’exigences, mais en retour, on a droit à rien. C’est vraiment frustrant et fait mal, terriblement mal. n

 

1 La pétition Smood écoute tes livreurs a été signée par plus de 12’000 personnes en moins de trois semaines.