Des métallos italiens licenciés par SMS

Italie • Le 9 juillet dernier, les 422 travailleurs de l’usine sidérurgique GKN de Campi Bisenzio (Florence) sont licenciés par un SMS. Après deux mois de luttes, le tribunal de Florence a finalement donné raison aux salariés de l’équipementier automobile. (Par Jonathan Lefèvre et Michele Daniele, Paru dans Solidaire, adapté par la rédaction)

Les travailleurs de l’usine florantine GKN sont rassemblés en «Collectif de fabrique» pour lutter contre leur licenciement collectif. (CGIL Firenze)

Parfois, un SMS peut changer une vie: «Il faut qu’on parle», «les résultats de votre examen sont arrivés»… Et il y en a qui changent des centaines de vies, comme celui reçu par les centaines de travailleurs et travailleuses de l’usine italienne GKN. Rappel de Michele di Paola, métallo et syndicaliste de la FIOM-CGIL (centrale métallo du plus grand syndicat du pays): «Ce vendredi-là, la direction nous avait donnés un jour de repos. Nous avions déjà reçu des vendredis de congé donc nous n’étions pas inquiets. D’autant que l’usine tournait à plein régime: la production a continué jusqu’à 6h du matin. Quelques heures avant les premiers SMS, qui sont partis à 10h30. Les gens étaient tous stupéfaits…»Comme le rappelle le journaliste belge et spécialiste de la gauche italienne Hugues Le Paige sur son blog, rien ne laissait présager une telle annonce: «L’entreprise se porte bien, les carnets de commandes sont remplis et les bilans sont positifs et elle a bénéficié de 3 millions d’euros d’aide au développement de la part de l’Etat italien. Le fond Melrose (propriétaire anglais de la GKN, ndlr) a simplement décidé de délocaliser pour produire à moindre coût»…

Une heure après l’annonce,l ’usine est occupée

La surprise passée, les travailleurs ne restent pas chez eux sans réagir. Michele di Paola: «Après quelques coups de fils entre collègues, nous sommes allés à l’usine. En moins d’une heure, nous étions là. Quand nous sommes arrivés, l’usine était vide. A l’entrée, la direction avait remplacé les gardiens habituels par des agents de sécurité, d’une boîte privée, pour nous empêcher d’entrer. Mais nous sommes quand même entrés. A partir de là, nous avons organisé une assemblée permanente. Depuis, les travailleurs occupent l’usine 24 heures sur 24. Comme avant, mais avec d’autres tâches.» Car si les propriétaires comptaient sur une résignation du personnel, c’est raté. «Nous avons derrière nous une longue histoire de lutte. L’usine GKN appartenait auparavant à Fiat. Beaucoup d’entre nous ont côtoyé des ouvriers et des syndicalistes qui ont joué un rôle dans les luttes passées et nous ont transmis leur expérience. Cela nous a permis d’être très forts sur le plan syndical.»Et les travailleurs reçoivent de l’aide de la communauté local: «Nous avons été surpris par le soutien que nous avons reçu du bourgmestre de Campi Bisenzio ou même des commerçants de la région. Nous avons reçu du matériel, des aliments, etc. C’est parce que, grâce à ses 500 travailleurs (en plus des 422 employés, il faut compter 80 travailleurs de la sous-traitance, NdlR), l’usine GKN est une force pour la région de Florence: 500 familles en vivent directement.»

Comment lutter face à un géant?

«Notre organisation est une force. Entre collègues nous ne regardons pas notre couleur syndicale. A la base, pour les 500 travailleurs de l’usine, il y avait sept délégués syndicaux. Ils discutent directement avec la direction. Mais en plus de cela, nous avons voulu et obtenu 12 délégués supplémentaires, qui font le lien avec l’ensemble des travailleurs. Sur cette base, nous avons créé le Collettivo di Fabbrica (Collectif d’usine). C’est une assemblée ouverte à tous ceux qui veulent s’impliquer, qu’ils soient syndiqués ou pas. Presque tous les travailleurs de l’usine y participent et ils prennent eux-mêmes les décisions sur les enjeux qui les concernent. Depuis l’annonce de la fermeture, c’est cette assemblée qui gère l’usine au quotidien.» Car, quatre mois après le fameux SMS, l’usine est toujours ouverte. «Nous avons tout de suite contesté la lettre de licenciement. Et nous avons continué d’y aller et de pointer,comme si nous travaillions encore. En parallèle, nous avons lancé une action en justice et gagné: un juge a donné raison aux syndicats – qui avaient été mis de côté – et a annulé la procédure pour «violation des droits syndicaux».

«Cela oblige GKN à continuer de nous payer. Mais c’est une victoire temporaire: nous avons réussi à gagner du temps que nous devons mettre à profit. Pour cela, il faudra des mobilisations. Nous avons déjà organisé des rassemblements au niveau provincial et national (une manifestation organisée le 18 juillet a rassemblé plus de 25’000 personnes à Florence, par exemple, Ndlr). Nous voulons être une locomotive et un haut-parleur pour les travailleurs d’autres entreprises dans le même cas. Notamment les plus petites, dont la fermeture pendant la pandémie est parfois passées inaperçue.»

«Revoir les étoiles»

«D’emblée le Collectif veut globaliser le combat et mettre en cause la responsabilité de l’Etat comme acteur et régulateur de l’économie», explique Hugues Le Paige… Le Collectif a lancé un appel: «Ne descendez pas dans la rue pour nos problèmes de travail, venez y avec vos problèmes et que notre lutte ouvre la voie à un fleuve plein de revendications.» La manifestation ne concerne pas que la GKN, elle est placée sous le signe d’une réforme générale des règles sur le travail… Il est question «d’un décret que doit prendre le gouvernement pour empêcher les délocalisations et sanctionner les entreprises, notamment celles qui ont bénéficié d’aides publiques. «Nous avons écrit cette loi anti-délocalisations pour empêcher que d’autres subissent la même chose que nous. Nous avons fait cela nous-mêmes, avec l’aide de juristes, de constitutionnalistes et d’autres experts. Les travailleurs n’ont pas de véritable appui au niveau parlementaire», regrette Michele.

Depuis la liquidation du parti communiste (PCI) au début des années 1990, la gauche italienne est éparpillée. «Mais il faudra pousser les partis à se positionner et à voter cette loi. Il y aura donc des initiatives, des mobilisations à Rome.» L’entièreté de la classe travailleuse italienne a les yeux rivés sur Campi Bisenzio et sur cette mobilisation porteuse d’espoir. C’est la conclusion d’Hugues Le Paige quand il parle de la manifestation du 18 juillet: «En tête du cortège, une grande banderole: “Insurgeons-nous pour revoir les étoiles”. Elle résume mieux que tout l’état d’esprit des manifestants et le sens de leur combat.»