Nicolas Hulot aussi…

La chronique féministe • Quand des femmes ont enfin le courage de parler, souvent des années après les faits, l’harceleur désigné monte sur ses grands chevaux, se pose en victime (!), multiplie les interventions dans les médias pour affirmer son innocence et traiter ses accusatrices de menteuses.

Nicolas Hulot a été ministre d'Etat d'Emmanuel Macron. (Jacques Paquier)

Coup de tonnerre dans le ciel d’Ushuaia : l’animateur de l’émission mythique (qui se tint de 1998 à 2011) est accusé de harcèlement sexuel et de viol par 3 femmes, dont deux à visage découvert, qui ont témoigné dans «Envoyé spécial», jeudi 25 novembre 2021. Des faits qui ont eu lieu entre 1989 et 2001 et sont prescrits. Mais pour ces femmes, il était vital de témoigner. Sur le plateau de l’émission «C à vous» de France 5, deux heures avant la diffusion du reportage sur F2, l’animatrice d’Envoyé Spécial, Élise Lucet, a expliqué la genèse de cette enquête télévisée. «Après l’affaire Weinstein (…) on a eu vent de l’histoire d’une femme qui se disait agressée par Nicolas Hulot, bien avant les premiers témoignages le concernant», a-t-elle expliqué. Le reportage est le résultat de quatre ans de travail. Elle relève que les témoignages sont probants, les femmes revivaient la scène, avaient des réactions physiques. Élise Lucet a proposé à Nicolas Hulot et à ses avocats de regarder le reportage avec les visages floutés, afin que l’ancien ministre animateur présente sa version des faits. Mais ils ont refusé. Nicolas Hulot a préféré venir sur le plateau de BFM TV, la veille de l’émission, affirmer qu’il est innocent des faits qu’on lui reproche, que ces femmes sont des menteuses, mais dans le même élan, il a annoncé qu’il se retirait de la vie publique. Il avait aussi squatté les chaînes de télévision en 2018, quand il était accusé d’agression sexuelle par Pascale Mitterrand, petite-fille du président. À l’époque, les membres du gouvernement l’avaient soutenu «comme un seul homme», y compris Marlène Schiappa, censée défendre la cause des femmes.

Chaque fois, on assiste au même scénario. Quand des femmes ont enfin le courage de parler, souvent des années après les faits, l’harceleur désigné monte sur ses grands chevaux, se pose en victime (!), multiplie les interventions dans les médias pour affirmer son innocence et traiter ses accusatrices de menteuses. Comme ce sont des hommes célèbres (Polanski, DSK, PPdA, Rochebin, Nicolas Hulot…), ils pensent qu’on les croira et que l’affaire s’effondrera. Leurs arguments se ressemblent: «Moi? Harceler, violer? Je n’en ai pas besoin, voyons! Je suis beau, riche et célèbre, je peux avoir toutes les femmes que je veux.» Cela dénote un ego surdimensionné et un mépris des femmes qui fait froid dans le dos. Dans leur esprit, les femmes sont forcément flattées d’être repérées par le grand homme, et sont donc à leur disposition. Même arrivés au sommet de la gloire, ces messieurs ont un besoin maladif de vérifier leur pouvoir.

Jusqu’à l’affaire Weinstein, dévoilée en octobre 2017, ces prédateurs se sentaient au-dessus des lois, à l’abri de leur notoriété, ils étaient persuadés, non sans raison, que même si leurs victimes parlaient, on ne les croirait pas. Et les femmes se taisaient, par honte, culpabilité, impuissance.

Et voilà qu’une douzaine de femmes accusent Harvey Weinstein, producteur de cinéma renommé, d’agression sexuelle ou viol. À la suite de ces accusations, de nombreuses autres personnalités féminines de l’industrie du cinéma incriminent Weinstein de faits similaires. Sans surprise, celui-ci dément avoir eu des relations sexuelles non consenties. Mais il est licencié de sa compagnie, exclu d’associations professionnelles. Des enquêtes judiciaires et des plaintes sont lancées par six femmes à Los Angeles, New York et Londres. Harvey Weinstein a été condamné en 2020 à 23 ans de prison pour viol et agression sexuelles sur deux femmes.

Cette affaire a des retombées internationales. Le mouvement #MeToo, fondé en 2007, prend une ampleur universelle. Il encourage la prise de parole des femmes, afin de faire savoir que les agressions sexuelles et les viols sont plus courants que ce qui est supposé. Ceci aboutit à un débat sur les violences faites aux femmes et leur occultation, interrogeant du coup leur statut dans la société.

Depuis #MeToo 2017, des témoignages sont arrivés de tous les milieux: cinéma, médias, danse, théâtre, sports, domaine de la santé, bureau, usine, etc. C’est partout le même enchaînement: un patron a le pouvoir, qu’il exerce sur des employées, dérape, parce qu’il se croit tout permis, affirme que la victime était consentante dans les rares cas où il est dénoncé. Rappelons que seules 10% des victimes portent plainte, 95% des femmes qui dénoncent un cas perdent leur emploi. S’il y a poursuite, moins d’un quart des harceleurs sont punis. Ces chiffres font comprendre pourquoi les femmes se taisent. Et quand elles ont le courage de parler, elles sont traitées de menteuses. L’entourage de Nicolas Hulot était au courant, et mettait en garde les femmes qui venaient faire un reportage, par exemple.
Quand DSK fut arrêté, en mai 2011, ce fut une onde de choc planétaire. Ses proches, qui étaient au courant et l’avaient prévenu que les USA, ce n’est pas la France, ont eu des réactions hypocrites. Je n’oublierai jamais les remarques infamantes d’un Jack Lang: «Il n’y a pas mort d’homme» et d’un Jean-François Kahn: «c’est un troussage de domestique». Cette expression renvoie au temps où la bourgeoisie exerçait un droit de cuissage sur les femmes domestiques. Le troussage désignait, aux 17e et 18e siècles, le fait de relever brusquement et par surprise les jupes ou la robe d’une femme. À cette époque, elles ne portaient pas de sous-vêtements, ce qui rendait le viol plus facile. Lorsqu’elles étaient affairées à des tâches où elles étaient susceptibles d’être agressées – en lavant le sol, par exemple – les domestiques portaient généralement un caleçon, pour éviter d’être «troussées».

À entendre les récits des femmes qui osent prendre la parole, on se dit que la société n’a guère évolué depuis le 17e siècle. Dans notre société patriarcale, viriliste, sexiste et violente, les femmes sont toujours considérées comme des servantes, des utilités, des possessions, comme de la chair sexuelle à disposition des hommes. Certes, il y a des progrès certains dans la prise de conscience, dans les mesures de protection des femmes et le souci de favoriser la parité, mais il reste encore beaucoup de travail, notamment dans l’éducation.

Une enquête judiciaire a été ouverte contre Nicolas Hulot. En attendant le résultat, il y a fort à parier que Nicolas Hulot ne fera plus jamais partie des «personnalités préférées des Français.es».