Zemmour, un Trump au petit pied

La chronique féministe • Eric Zemmour a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle le 30 novembre.

Or donc, après un suspense insoutenable, Eric Zemmour a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle le 30 novembre. La vidéo lancée sur les réseaux sociaux le présente devant une bibliothèque et un micro à l’ancienne, un décor censé reproduire celui du général de Gaulle lors de son appel du 18 juin 1940. Qui doit se retourner dans sa tombe! Il cite Jeanne d’Arc (décidément utilisée à toutes les sauces), Louis XIV, Bonaparte, de Gaulle, Victor Hugo, Chateaubriand, Sautet, Verneuil, Johnny, Aznavour, et même BB, la seule femme de son panthéon, pour son côté sexy, probablement. Il se déclare exprès le jour de la panthéonisation de Joséphine Baker, qui fut artiste, résistante et lutta toute sa vie contre le racisme, notamment en adoptant 12 enfants de plusieurs nationalités. Aux antipodes des positions de Zemmour.

Sa prestation se déroule en 5 temps:
La peur instillée: le présent, c’est le chaos.
La nostalgie: c’était mieux avant, avec une accumulation de figures populaires.
La perte, la dépossession, que Zemmour veut faire partager par les Français.es.

Les coupables et les boucs émissaires, soit toute personne en désaccord avec la ligne de l’extrême droite: les «élites» politiques et médiatiques, les étrangers, les minorités.
La venue du sauveur, lui, par sens du devoir, celui de sauver la République et «surtout la France».

Zemmour s’inscrit dans les courants d’extrême droite qui pourrissent le débat politique des démocraties. L’Autriche avec le parti FPÖ (parti libéral d’Autriche), 22% en 2013; la Hongrie: Jobbik 17% en 2010; la Finlande: Vrais Finlandais, 19% en 2011; la France: Front national 14% en 2012, 21% en 2017, sans oublier la Suisse, UDC, 26% en 2019, le pays le plus extrême d’Europe, triste record. La Pologne, la Hongrie ont à leur tête un président d’extrême droite. Les Etats-Unis ont élu Donald Trump fin 2016, le Brésil choisit en 2018 Jair Bolsonaro, «populiste, antisystème et sécuritaire d’extrême droite». La liste n’est pas exhaustive.

Trump a longtemps sévi sur des chaînes TV, utilisé abondamment les réseaux sociaux pour répandre des «fake news» et inventé la notion de «vérité alternative». Il a étalé son racisme, son homophobie, sa misogynie, son masculinisme jusqu’à la nausée pendant quatre interminables années. Et son suprémacisme à l’égard des noirs et des latinos, qui vont démographiquement dépasser les blancs. A la fin de son mandat, il a nié la victoire de Biden, fomenté un coup d’Etat en poussant ses adeptes à l’assaut du Capitole.

Eric Zemmour s’est répandu sur les chaînes TV, il tient des propos révisionnistes envers Dreyfus et Pétain, exprime son racisme et sa misogynie d’émission en conférence. Son meeting de dimanche 5 décembre a réuni 13’000 fans qui ne portaient pas le masque (comme lors des meetings de Trump), quelques gros bras ont frappé des militant.es contre le racisme et expulsé des journalistes, que Zemmour (qui en fut pourtant un) déteste autant que Trump. Lui aussi parle de «grand remplacement» si l’on continue d’accueillir des étrangers, notamment des musulmans.

Quand on l’interviewe sur sa condamnation pour provocation à la haine raciale, il répond que la loi est mal faite et qu’il la changera s’il devient président. Il sera peut-être un jour condamné pour révisionnisme et se drapera de nouveau dans le déni, le procédé préféré de Trump.

Depuis qu’il sévit chaque jour pendant une heure sur CNews, Zemmour crache son mépris sur les émigré.es, sur ceux qui portent des prénoms «non français», sur les femmes… Avec ses diatribes anti-émigration, qui le font monter dans les sondages, il influence les prises de position des candidats de la droite «républicaine». Valérie Pécresse, candidate officielle de LR, veut, elle aussi, réduire l’immigration.

Depuis les années 2000, le nombre d’organisations et de groupuscules de l’extrême droite radicale est en augmentation constante. Selon les études de l’Anti-Defamation League, les mouvements américains d’extrême droite sont responsables de 71% des meurtres à motivations politiques perpétrés aux Etats-Unis entre 2008 et 2017, les groupes islamistes de 26% et les mouvements d’extrême gauche (anarchistes ou nationalistes noirs) de 3%. Lors de sa campagne électorale en vue de la présidentielle de 2016, Donald Trump a été soutenu par de nombreux militants et mouvements d’extrême droite, aussi bien des membres du Ku Klux Klan que des néo-nazis.

Dans son livre Le premier sexe, Denoël 2006, Zemmour affirme que les grands génies sont des hommes. Il a refusé d’être dirigé par une femme. Il défend une forme de violence dans les rapports sexuels entre hommes et femmes, est nostalgique de l’époque où«le jeune chauffeur de bus» pouvait«glisser une main concupiscente sur un charmant fessier féminin» sans risquer des poursuites. Il regrette qu’on ne puisse plus faire «de plaisanteries graveleuses dans les bureaux». Il accuse les femmes ministres d’avoir couché pour être nommées. Selon lui, le point de bascule de la société française a eu lieu lors de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les hommes ont été «dévirilisés» à la guerre, tandis que les femmes «se sont bien amusées».

Les femmes devaient s’occuper de la maison et ne pas faire de politique. «Elles n’incarnent pas le pouvoir, c’est comme ça. Le pouvoir s’évapore dès qu’elles arrivent.» (27.9.21 sur LCI). «Les valeurs féminines sont incompatibles avec l’incarnation du pouvoir.» Il déteste les féministes, l’écriture inclusive, qu’il interdira s’il devient président.

On se demande pourquoi des femmes suivent un pareil macho. Un sondage Ifop pour le magazine «Elle», publié le 28.10.21,indique que 12% des femmes sondées se prononcent en faveur d’Eric Zemmour pour la présidentielle contre 17% chez les hommes. C’est l’écart le plus grand entre les opinions des femmes et des hommes pour les candidat.es testé.es. Hélas, il en reste beaucoup, fascinées, comme d’autres le sont par Trump. Que des femmes admirent et soutiennent des hommes qui ne cessent de les insulter, les humilier, les déconsidérer est quelque chose que je ne comprendrai jamais.

Si Trump a été élu président, contre toute attente, je pense et j’espère que Zemmour n’accédera pas à la consécration suprême. Pour le bien de la France… et des femmes!