La bataille des retraites est lancée

Suisse • Le parlement a bouclé cette semaine la réforme des retraites dite "AVS 21". Les syndicats et la gauche ont annoncé qu’ils lanceront un référendum. (Par Paris Kyritsis)

Le 18 septembre, près de 10’000 manifestant.es s’étaient réuni.es à Berne pour s’opposer à une mauvaise révision de l’AVS. (Jeunes POP Suisse)

Ce mercredi 15 décembre, le Conseil national s’est aligné sur le Conseil d’Etat concernant la quasi-totalité des points de la réforme AVS 21, ce qui a ouvert grand les portes de son acceptation finale. Cette dernière prévoit la hausse de l’âge de départ à la retraite des femmes de 64 à 65 ans et une hausse de 0,4% de la TVA pour financer le 1er pilier. En parallèle, était traité le cas de la baisse du taux de conversion du 2e pilier dans le cadre de la réforme LPP 21. Ces deux aspects de la question des retraites ont été séparés afin d’esquiver un refus en bloc, comme ce fut le cas en 2017 avec le non à PV 2020.

Apport de la BNS

Des désaccords ont émergé entre les chambres, notamment sur la proposition d’affecter les bénéfices issus de taux d’intérêt négatifs pratiqués par la Banque nationale suisse (BNS) à l’AVS. Alors que le National a voté en faveur, le Conseil des Etats l’a balayé. Le Conseil national a ainsi relevé qu’une partie des bénéfices de la BNS se faisait sur le dos des caisses de pensions, obligées de déposer au moins une partie de leurs fonds dans des placements sûrs tels que les obligations, qui rapportent ainsi moins aux assurés. Le Conseil des Etats a répliqué en indiquant que ces bénéfices sont déjà redistribués en partie aux cantons.

La BNS, qui réalise des bénéfices record depuis plusieurs années, pratique des taux d’intérêt négatifs depuis 2008, pour lutter contre les effets de la crise économique. Le fait que le franc soit devenu une valeur refuge avec cette crise a prolongé cette politique, qui ne risque pas de changer de sitôt. La question de la participation de la BNS à l’AVS a finalement été refusée par le Conseil national mercredi.

Influence des lobbies

Les parlementaires devront également traiter jusqu’au vendredi 17 décembre le projet LPP 21 de révision du deuxième pilier. Si celui-ci prévoit d’abaisser le taux de conversion de 6,8% à 6%, il doit garantir en même temps le niveau de la rente dans la partie obligatoire de la LPP et améliorer la couverture des rentes (de l’ordre de 100 à 200 francs par mois) pour les personnes à faibles revenus et celles travaillant à temps partiel. Cependant, alors qu’un compromis avait été trouvé quant aux détails de ce deuxième aspect entre les grands syndicats et les associations patronales, le Conseil national a retenu des modifications apportées par la commission en charge du dossier par des parlementaires de droite et du centre qui visent à péjorer cet aspect de financement selon le principe de solidarité.

Comme l’a révélé la Wochenzeitung le 2 décembre dernier, cette volte-face est à mettre sur le compte de l’intense travail de lobbying qu’ont effectué des mois durant des faîtières de d’assureurs et Economiesuisse via leurs «pantins» au sein du parlement. L’UDC bâlois Thomas de Courten, membre du conseil d’administration d’une grande caisse de pension (Agsa), s’est ainsi fait l’architecte du détricotage du compromis entre syndicats et patronat au sein de la commission.

Les enjeux sont en effet importants pour la classe aisée de notre pays. Environ 1500 caisses se disputent la gestion d’environ 1000 milliards de francs d’avoirs de rentes. Selon les chiffres de la Confédération, le secteur financier gagne 5,6 milliards de francs grâce à la gestion des pensions. Et ce chiffre augmente chaque année.

Par ailleurs, la commission avait également repris la proposition émanant de l’UDC Thomas Aeschi, qui siège au conseil d’administration d’une banque privée, d’augmenter le montant des déductions d’impôt pour le 3e pilier, alors que seuls 10 à 15% des personnes imposables peuvent se permettre de verser le montant maximum annuel autorisé pour le 3e pilier, soit 6’500 francs actuellement. Cet aspect de la loi n’est cependant pas passé grâce à l’opposition du centre. Il n’aurait fait qu’augmenter la somme de 130 milliards de francs déjà gérés en 3e pilier par les banques et assurances suisses.

Tirs croisés

L’USS a annoncé qu’elle lancera un référendum pour s’opposer à AVS 21 et combattre ainsi la hausse de l’âge de départ à la retraite des femmes que cette réforme inclut. Concernant la LPP 21, la centrale syndicale n’écarte pas l’option d’un deuxième référendum si la droite et le centre refusent le compromis. Le sujet des retraites se trouvera ainsi au centre d’un tir croisé. L’initiative en faveur d’une 13e rente ayant abouti en mai 2021, le peuple votera dessus. En face, la droite a lancé une initiative des «générations» et les Jeunes PLR un texte «Pour une prévoyance vieillesse sûre et pérenne», qui, toutes deux, veulent aligner l’âge de départ à la retraite sur l’espérance de vie, après une première hausse à 66 ans en ce qui concerne le projet des Jeunes PLR.

La droite et les milieux patronaux ont adopté une stratégie claire: saboter tous les mécanismes de répartition par solidarité pour favoriser le transfert de cotisations vers les caisses de pension, afin d’y réaliser des bénéfices. En face, la gauche et les syndicats ont vu leurs tentatives de compromis balayées sous l’influence des lobbies, mais elles comptent sur un refus de ces réformes par le peuple comme pour Prévoyance vieillesse 2020 en 2017. Alors que la question des retraites est le troisième sujet qui préoccupe davantage les habitants du pays, selon une étude du Crédit Suisse, après la crise sanitaire et le réchauffement, la bataille s’annonce déjà enflammée.

Déréglementation supplémentaire de la finance

Ne tirant aucune leçon de la crise financière de 2008, le Parlement a voté mardi en faveur d’une nouvelle déréglementation du secteur financier. Les caisses de pensions, les assurances et les investisseurs professionnels devraient pouvoir souscrire à un nouveau type de fonds de placement, ne requérant aucune autorisation de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA). Souscrivant à l’argument selon lequel cela renforcerait l’attractivité du marché suisse et le rapatriement de telles activités délocalisées, les parlementaires de droite et du centre ont soutenu un projet qui accroît l’opacité du secteur financier.

Il sera donc possible de créer sans autorisation aucune des nouveaux fonds du type «Limited Qualified Investor Fund» (L-QIF). Or, actuellement, tous les placements collectifs suisses sont soumis à approbation ou autorisation. Un tel type de fonds existe par exemple au Luxembourg, qui figure en bonne place sur la liste internationale des paradis fiscaux.

PKs