Voix magnétiques à la fin d’un monde

Cinéma • D’une radio pirate bretonne aux nuits punk berlinoises, «Les Magnétiques» est un récit d’apprentissage sur fond de génération désillusionnée et à l’orée des années 80. Avant le tournant rigoriste du socialisme et les années sida.

Joseph Olivennes dans le rôle de Jérôme, un animateur radio sombre et désabusé annonçant un enregistrement pirate du dernier concert de Ian Curtis, chanteur de Joy Division. (Celine Nieszawer)

Une jeunesse qui embrasse ses nuits à 120 battements par minute subodorant toutefois vivre une ère libertaire éphémère que mettra sous le boisseau la normalisation de la gauche française dès 1983. Ceci avec le tournant de la rigueur et les privatisations dictées par l’ultralibéralisme.

Le premier long-métrage de Vincent Maël Cardona, « Les Magnétiques », mixe les genres avec aisance et inventivité. Sans coup férir, l’œil glisse de la chronique sociale à la comédie, du drame au récit romantique.

Mai 81

A l’orée du film, on découvre une forme de reportage vidéo caméra à l’épaule post Nouvelle Vague alternant le flou et le net. Pour retenir l’explosion de joie suscitée dans un troquet par la victoire de François Mitterrand, le 10 mai 1981.

L’effervescence réformatrice de l’Union de la gauche – retraite à 60 ans, cinquième semaine de congés payés, relèvement du SMIC et des allocations familiales, nationalisations à 100%… – soulèvera de bien trop grandes attentes dans l’électorat socialiste n’ayant connu que l’opposition depuis 23 ans.

En voix off, le protagoniste principal, qui a voté Giscard, confie son désintérêt pour une élection présidentielle, dont celle de 2022 ne fait plus du tout rêver. Et creusera un abstentionnisme abyssal notamment chez les jeunes générations impactées par la crise multiforme et ses vies en sursis semblant déjà condamnées. Vivant et travaillant avec un père garagiste, voici Philippe – Thimotée Robert charismatique de douceur mutique et Jérôme – Joseph Olivennes en ivresse théâtrale de soi avant la fin.

Marivaudage et ennui

L’action se partage, un temps, entre l’introverti sourcier sonore et technicien radio et l’agité autodestructeur au cœur d’un bled paumé. L’aîné, Jérôme, a une relation avec Marianne. Celle-ci est incarnée par une Marie Colomb excellente dans le rôle par trop classique de l’éveilleuse de ce récit d’apprentissage et pour laquelle Philippe cultive un secret désir. L’ambiance est à une forte complicité. Et la manière de se déclarer tout en ne le faisant pas ouvertement du jeune homme est d’une pudeur universelle.

«Too Old to Live, Too Young to Die!», chantait alors le refrain subversif et insurrectionnel du punk hardcore que sembla suivre à la lettre le leader de Joy Division, Ian Curtis, suicidé à 23 ans. Cela dans le sillage d’un traitement pour son épilepsie par le phénobarbital pouvant provoquer des dépressions et à l’origine de son acte létal selon l’épouse du chanteur. A la fois vitaliste et nihiliste, ainsi apparaît Jérôme dans son hommage au chanteur de Manchester disparu réalisé au micro de la radio pirate réunissant les deux frères, Philippe et Jérôme.

«A l’aube d’une décennie qui doit tout changer et qui changera que dalle», lâche-t-il, dans le même phrasé que Ian Curtis. Un chanteur à la voix fantomatique, basse, filtrée, comme sortie d’une grotte ou d’on ne sait quelle psyché tourmentée. Lyrique, introvertie, sombre et douloureuse, la musique de Joy Division implosait à l’époque et baigne de sa déprime une partie du film.

Bande son et littérature

Au temps du service militaire obligatoire, Philippe est envoyé à Berlin sous guerre froide et zone d’occupation. On est dans le monde d’avant le sida et au cœur d’une fougue de vivre se déchaînant sur les dancefloors et studios radio.

Quarante plus tard, sous joug pandémique, cette aspiration à s’émanciper par la musique de 1978 à 1983 marquée par une «explosion des expressions artistiques, singulièrement musicales (Marquis de Sade, The Sonics, Iggy and the Stooges…), fanzines, groupes rock et radio libres», dixit le réalisateur, peut paraître un brin brouillonne, utopiste et naïve.

Amour toujours

Qu’importe. Les Magnétiques raconte avec bonheur et énergie, à travers la figure d’un héros sensible, l’éclectisme musical des milieux interlopes et une Europe encore écartelée entre le consumérisme capitaliste et le bloc communiste.

La profondeur littéraire se devine dans cet extrait des Lettres à un jeune poète de Rilke publiées en 1929 cité par le seul vrai ami de l’anti-héros, Edgar, doutant de la possibilité d’aimer vraiment à vingt ans: «Tout apprentissage est un temps de clôture. Ainsi pour celui qui aime, l’amour n’est longtemps, et jusqu’au large de la vie, que solitude, solitude toujours plus intense et plus profonde.»

Montage live

Vincent Maël Cardonna est parfois court en bouche dans sa texture atmosphérique d’une époque transpirant l’ennui, l’excitation de vingtenaires et les premières expériences sous psychotropes. En témoigne l’épisode dans une Eglise de Berlin-Est, filmé de dos et face caméra subjective. La cité réputée pour ses raves sauvages d’avant la chute du Mur, semble alors être réduite à une vignette sensorielle et anecdotique.

En revanche, la caméra voltige au fil d’un montage virtuose, lorsqu’il s’agit de chorégraphier Philippe dans une mise en ondes remixée à partir de sources variées (disque, bande revox, field recording, message audio sur cassette de l’aimée lointaine, micros pendulant sur une enceinte), le tout saupoudré de réverbérations foisonnantes. Là est la vraie dimension de cuisine sonore digne autant d’une séquence du film d’animation Ratatouille que de Throbbing Gristle, précurseur londonien de la musique industrielle, expérimentale, bruitiste et électronique.