Cuba à l’ère de la solidarité

Cuba • Ancien syndicaliste, Jean Van De Maele est un photographe globe-trotter. En 2003, il découvre Cuba et aujourd’hui, l’île socialiste est sa maison. L’homme témoigne de l’impact du blocus économique sur la vie quotidienne et de la solidarité qui unit les Cubains. (Propos recueillis par Dirk Tuypens, Paru dans Solidaire, adapté par la rédaction)

«Selon le Miami Herald, 60% des Cubains de Miami vivent dans la pauvreté», relève Jean Van de Maele, résident à Cuba. (Mark Scott Johnson)

En 1997, quelque part dans le Pacifique, Jean Van De Maele a décidé qu’il ne voulait pas vieillir en Belgique. L’endroit où il irait était encore une question ouverte. En fin de compte, c’est l’amour qui a fixé sa destination. En 2005, Jean a épousé son amoureuse cubaine. Il y a trois ans, il s’est installé définitivement à Santiago de Cuba.

Comment trouvez-vous la vie à Cuba?
Jean Van De Maele C’est un pays incroyablement fascinant. Je pourrais en parler pendant des heures. De l’hospitalité des Cubains par exemple. J’ai souvent été ému aux larmes en voyant que les personnes qui ont peu donnent quand même beaucoup. Cela a eu un effet-miroir sur moi. J’ai appris qu’il y a d’autres choses que notre mode de vie occidental qui sont importantes. Je suis vivant, je peux manger sainement, je suis entouré de gens que j’aime, il y a de la solidarité et de l’amitié…
Ce qui me dérange énormément en Belgique, c’est la droitisation, le manque de solidarité. Je n’accepte pas qu’une société refuse d’aider les personnes qui pour une raison ou une autre ont des difficultés à s’en sortir et les rejette en les considérant comme des profiteurs. C’est pourquoi je me sens chez moi à Cuba.

Quels sont les points forts de la société cubaine?

Par exemple, la sauvegarde de la nature, très étendue et intacte. Sans ça, vous pouvez être sûrs que tout cela serait rempli d’hôtels de luxe, où les travailleurs cubains ne seraient pas autorisés à entrer et où ils pourraient travailler pour cinq dollars de l’heure.
En termes de niveau de vie, Cuba dépasse tous les pays d’Amérique latine, à l’exception du Costa Rica. Les soins de santé sont gratuits. Un exemple concret. Mon fils a vécu au Mexique pendant quatre ans. Sa femme a eu une appendicite. Le docteur a posé un mauvais diagnostic, il lui a donné des médicaments et elle a pu quitter l’hôpital. Mais, peu de temps après, comme l’inflammation a bien sûr continué à se propager, elle a dû être hospitalisée en urgence. Après l’opération, les médecins ont demandé 30’000 dollars. Si la facture n’était pas payée, ils arrêtaient le traitement. Finalement, elle a été prise en charge et traitée en Belgique, grâce à une bonne assurance.

Il y a également la gratuité de l’enseignement. J’ai parlé avec un jeune homme très critique envers le gouvernement. Il avait un diplôme universitaire. Je lui ai demandé s’il savait combien coûtait un diplôme universitaire aux Etats-Unis, combien de temps les gens devaient rembourser ce coût, etc. Lui, il a pu l’obtenir gratuitement. Un Cubain sur sept a un diplôme universitaire. Le logement est aussi une priorité pour les pouvoirs publics. Il y a deux ans, le gouvernement a fait construire 16’000 maisons. Les jeunes femmes avec trois enfants en obtiennent une.

En Haïti, juste à côté de Cuba, l’espérance de vie est inférieure de 20 à 30 ans. Là, on peut certes voter pour plusieurs partis, mais les conditions de vie sont bien pires. Cuba est-il un paradis?
Non, mais si on le compare à d’autres pays d’Amérique latine, c’est un pays où il fait bon vivre.

Cuba connaît également de nombreux problèmes.

En effet. Les Cubains doivent mener une bataille quotidienne. Ils doivent faire la queue pendant des heures pour acheter des produits de première nécessité. Ils ne peuvent pas toujours les acheter dans les quantités souhaitées. Il n’y a parfois pas suffisamment de pain parce que l’approvisionnement en farine n’est pas suffisant. Il y a rarement du beurre. La viande de bœuf, de porc, le poulet, le poisson, etc., tout est rare. Les médicaments sont souvent indisponibles à cause du manque de matières premières. Les jouets pour les enfants, les chaussures, il y a très peu de tout. Les déplacements sont difficiles en raison du manque de carburant. Il y a de longues files d’attente pour quelques litres d’essence. On manque d’aiguilles de seringues et de respirateurs, ce qui est désastreux dans la crise du coronavirus.

Mais la solidarité et la discipline à Cuba sont immenses. Tout le monde doit avoir la possibilité d’acheter certains des produits rares. Le sentiment d’unité, de collectif, est très fort. Si la Belgique manque d’électricité ou d’eau, il y a les pays voisins. Cuba est une île et doit être autosuffisante. L’accent est désormais fortement mis sur le développement de l’agriculture. Les personnes disposant d’un jardin sont encouragées à cultiver des légumes. L’énergie solaire fait également l’objet d’une attention particulière. Si l’on tient compte des ressources dont ils disposent, les Cubains s’en sortent plutôt bien.

A Cuba, je parle beaucoup aux gens qui veulent du changement. Ils aiment parler de liberté et de démocratie. Ils veulent améliorer les conditions de vie dans leur pays et c’est très bien évidemment. Mais ils n’ont souvent pas d’idée claire. Il faut qu’ils sachent bien ce pour quoi ils optent. Parce que, dans un marché libre, ils peuvent oublier tous les avantages qu’ils ont actuellement.

Depuis 60 ans, Cuba souffre d’un blocus économique imposé par les Etats-Unis. Votre avis?

Un blocus économique est une arme de guerre, un étranglement. Selon les Etats-Unis, le blocus est là dans le but d’aider le peuple cubain, mais il n’est rien d’autre qu’un moyen pour forcer un changement de pouvoir. J’espère que les actions mondiales contre le blocus seront victorieuses. Depuis 29 ans, presque tous les pays ont voté contre ce blocus aux Nations unies. La grande majorité de la population mondiale est favorable à sa suppression. Pourtant, les Etats-Unis n’en tiennent pas compte. Et on parle de «démocratie»…

On entend parfois que l’impact du blocus est exagéré.

Imaginez la Belgique sans importations ni exportations. Imaginez que tous les ports soient à l’arrêt. Ce serait un pays de patates, au sens propre. Chaque pays est dépendant des importations et des exportations, du commerce. Imaginez qu’un autre pays interdise à la Belgique de faire du commerce. C’est ce que font les Etats-Unis avec Cuba.

Un pétrolier se rendant à Cuba se verra infliger une amende de 200 à 300’000 dollars. Tout cargo faisant escale à Cuba n’est pas autorisé à entrer dans les eaux territoriales américaines pendant six mois. Les entreprises qui veulent commercer avec Cuba et ont également des intérêts commerciaux aux Etats-Unis doivent donc choisir leurs priorités. Et on ne peut pas non plus verser de l’argent sur un compte cubain au départ de n’importe quelle banque. C’est dire jusqu’où va l’influence des Etats-Unis. Le blocus coûte à Cuba environ 4 à 5 milliards de dollars par an. Il y a par conséquent des pénuries à tous les niveaux: nourriture, médicaments, matières premières…

Le 11 juillet dernier, d’importantes manifestations ont eu lieu à Cuba. Ce qui indique que tous les Cubains ne soutiennent pas le pouvoir. Qu’en pensez-vous?

Elles n’étaient pas surprenantes. Il y a un mécontentement compréhensible au sein de la population. Faire la queue tous les jours, cela ne satisfait personne. La crise du coronavirus pèse également lourdement. L’année dernière, le nombre de touristes est passé de 4 à 5 millions à environ 200’000.

Les musiciens de rue, les personnes travaillant dans les hôtels et les restaurants, tous ont vu disparaître une grande partie de leurs revenus. Et il y a certainement des choses qui peuvent être améliorées à Cuba, par exemple en matière d’efficacité. Les gens se tournent alors en premier lieu vers le gouvernement.

Mais, étant donné que les manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes simultanément, il était clair pour moi qu’elles étaient dirigées de l’extérieur. L’influence des médias sociaux est très forte. Depuis les Etats-Unis, les Cubains sont encouragés à mener des actions violentes contre le gouvernement. S’ils peuvent en montrer des images, ils reçoivent de l’argent pour cela. Pour avoir jeté un cocktail Molotov sur un bâtiment gouvernemental, par exemple. Les manifestations ont cessé depuis. La grande majorité de la population continue de soutenir le gouvernement et considère le blocus comme la cause de nombreux problèmes.

Néanmoins, une partie des Cubains continuent de rêver d’une vie hors de Cuba.

Beaucoup de jeunes aiment regarder les Etats-Unis et ne voient que le beau côté des choses. Il faut leur donner des articles provenant, par exemple, du Miami Herald, qui montrent que 60% des Cubains de Miami vivent dans la pauvreté. Ou qu’aux Etats-Unis, il faut deux ou trois emplois pour survivre.

A La Havane, j’ai fait la connaissance d’un capitaine de bateau et son épouse. Elle avait de la famille aux Etats-Unis et voulait émigrer, ce qu’ils ont fini par faire. Après un an, nous avons repris contact et la femme a dit que la réalité était complètement différente. Aux Etats-Unis, il y a environ 70’000 Cubains âgés qui veulent retourner à Cuba en raison des soins de santé gratuits qu’ils peuvent y recevoir.

Comment voyez-vous l’avenir de Cuba?

Mon plus beau rêve est un Cuba sans blocus. C’est aussi ce que veulent la plupart des gens, un Cuba sans ingérence étrangère. Sans blocus, Cuba pourrait s’approcher du paradis. J’espère qu’on en arrivera là un jour. Cuba le mérite.