Trop de cadeaux fiscaux tuent l’impôt

Suisse • Le peuple se prononcera le 13 février sur la suppression du droit de timbre, première étape d'un vaste plan de cadeaux fiscaux de 2 milliards aux entreprises.

La droite du parlement s’est lancée dans une campagne de moins-disant fiscal. (DR)

«Les 250 millions qui n’entreront plus dans les caisses de la Confédération suite à la suppression du droit de timbre, ne seront pas utilisés dans les hôpitaux, les services publics, l’éducation ou pour la réduction des primes maladie, par exemple», insiste le Parti suisse du Travail (PST-POP), qui, aux côtés de la gauche, des Vert.es et des syndicats, a soutenu le référendum contre ce nouveau cadeau fiscal avalisé par le parlement en juin dernier.

Dossier technique expliqué

Le dossier étant technique, il nécessite un petit éclairage. En matière de taxation du capital, la Suisse connaît des droits de timbre, qui sont des taxes prélevées sur l’émission et la négociation de titres. Elles rapportent actuellement à la Confédération 2 milliards de francs, qui se modulent suivant trois types de taxes. Il y a d’abord le droit de timbre d’émission (sur l’émission d’actions ordinaires), dont les recettes sont de 250 millions par an et dont la suppression sera soumise au vote le 13 février. Actuellement, les entreprises bénéficient d’une franchise d’un million de francs. Cela signifie qu’elles doivent payer le droit de timbre d’émission lorsque le montant des fonds levés dépasse cette somme. De plus, les entreprises à but non lucratif telles que les coopératives d’habitation, qui proposent des logements à loyer modéré, sont exonérées de cet impôt.

Vient ensuite l’impôt sur le chiffre d’affaires (sur l’achat et la vente de titres), qui rapporte annuellement 220 millions. Et pour finir le prélèvement sur les primes d’assurance (primes d’assurance responsabilité civile, incendie, ménage) permettant à la Confédération d’engranger 1,8 milliard chaque année. «La droite pratique la tactique du salami et prévoit l’abolition de ces taxes en 3 étapes. La première étape a déjà été franchie en supprimant la taxe sur le droit de timbre d’émission. Les étapes suivantes doivent suivre d’ici 2024/2025», explique le parti, qui dénonce des cadeaux fiscaux aux plus riches.

Vieilles ficelles

«En ce qui concerne ce droit de timbre, comme pour l’ensemble des droits de timbre, il est essentiellement acquitté par les groupes du secteur financier. Par conséquent, ils sont les seuls bénéficiaires de cette abolition», précise encore le PST-POP. «Si cette suppression du droit de timbre avait été effective en 2020, elle n’aurait bénéficié qu’à 55 grands groupes, soit 0,25% de toutes les entreprises en Suisse», assure Pierre Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse (USS). Cela bat en brèche l’argumentaire de la droite et de l’Usam (Union suisse des arts et métiers), qui, regroupés dans un comité pour le oui, prétendent que «jusqu’à 90% des entreprises frappées par cet impôt sont des PME». Vieilles ficelles: en 2020, la faîtière libérale Economiesuisse avait martelé que l’initiative pour des multinationales responsables «concernait également les PME suisses directement et indirectement». Dans sa brochure d’explication, le Conseil fédéral précise noir sur blanc qu’en 2020, seules 2300 entreprises ont payé ce droit de timbre.

Injustice sociale

«Ces droits de timbre servent à corriger la sous-imposition du secteur financier, puisque les services financiers sont exonérés de TVA en Suisse et que la Suisse n’a ni impôt sur les gains en capital, ni taxe sur les transactions», rappelle encore le PST-POP, qui pointe une injustice sociale. «Les travailleurs partent les mains vides! Avec la crise du Covid, beaucoup ont perdu leur emploi ou ont dû accepter des réductions de salaire. Maintenant, le Parlement veut faire des cadeaux fiscaux aux hauts revenus et aux entreprises qui réalisent les plus gros bénéfices. Les travailleurs et les retraités, eux, n’en tirent pas un centime», explique-t-il.

A l’occasion d’une conférence de presse interpartis juste avant Noël, les référendaires ont encore précisé certains points de leur refus, rappelant que cette nouvelle attaque met à mal le consensus des années 90 entre les partis et au sein du Conseil fédéral, qui stipulait que pour le secteur financier, les droits de timbre remplaçaient la TVA. «Abolir le droit de timbre alors que tout un chacun paie des impôts sur son revenu, des prélèvements obligatoires tels que les primes maladie, et encore la TVA sur chaque achat: l’iniquité de cette proposition est manifeste», a souligné Pierre-Yves Maillard. Une position partagée par la conseillère nationale (AG) et présidente du Parti évangélique suisse, Lilian Studer.

Alléger fiscalement  la classe moyenne

«La population dans son ensemble n’en profite pas. Elle paie les pertes que représentent la réduction des prestations ou l’augmentation des impôts et des taxes. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un allègement de la charge fiscale de la classe moyenne et d’une imposition des couples mariés conforme à la Constitution», a expliqué l’élue évangéliste. Cette suppression du droit de timbre est une pièce dans un vaste programme de démantèlement de l’imposition. «Les reformes prévues sont colossales dans leurs proportions financières: plus de 2 milliards juste pour le droit de timbre, des centaines de millions pour l’impôt anticipé, la suppression des droits de douanes industriels, et des milliards pour les reformes favorables aux gros propriétaires ou aux familles à ultra-hauts revenus», a expliqué, de son côté, le Monsieur fiscalité du PS et conseiller national vaudois, Samuel Bendahan.
«Supprimer le droit de timbre d’émission, c’est dire à des entreprises qui émettent plus d’1 million de capital (et plus de 10 millions dans certains cas), qu’elles n’ont plus aucun effort à faire, sans aucun effet économique. A titre de comparaison, le soutien de la

Confédération pour les crèches, c’est 130 millions… sur 4 ans! Soit 8 fois moins que le droit de timbre. 250 millions par an, c’est près de 40% des économies faites sur le dos des femmes avec la hausse de l’âge de la retraite, telle que prévue dans la reforme AVS 21 sur les dix prochaines années», a-t-il exemplifié.

Pour Franziska Ryser, conseillère nationale (SG) et vice-présidente des Vert.es, ce nouveau cadeau fiscal met aussi en danger les investissements pour une politique climatique ambitieuse. «La transformation du système fiscal coupe littéralement l’herbe sous le pied de la protection du climat. Alors qu’il serait enfin temps, pour la Suisse aussi, de lancer un programme sérieux de protection du climat», a-t-elle plaidé. «Il est inadmissible que le même parlement, qui veut faire de généreux cadeaux aux grandes entreprises en supprimant le droit de timbre, a décidé de relever l’âge de la retraite des femmes», conclut le PST-POP, aussi partie prenante du référendum contre l’inique nouvelle révision de l’AVS.

Informations complémentaires sur
www.arnaque-droit-de-timbre.ch