Ces sociétés misogynes…

La chronique féministe • La Société des tireurs à la cible de Payerne a refusé l’adhésion des femmes «à une large majorité», au motif que ses membres veulent «rester entre mecs».

Je croyais que c’était fini, les sociétés qui refusent les femmes, que c’était d’un autre âge. Comme l’Orchestre philharmonique de Berlin qui, de 1882 à 1982, ne comptait que des hommes, jusqu’à ce que se présente la Suissesse Madeleine Carruzzo… Aujourd’hui, elles sont 20 sur 128 musicien.nes. Il y a même eu une femme qui le dirigea en 2018: Emmanuelle Haim. Celui de Vienne, encore plus sexiste, n’accueillit une femme qu’en 1997.

Or j’apprends, la semaine passée, que la Société des tireurs à la cible de Payerne a refusé l’adhésion des femmes «à une large majorité», au motif que ses membres veulent «rester entre mecs». Pourquoi? Probablement pour se soûler sans retenue et débiter des blagues misogynes en se tapant sur les cuisses…

C’est lors de son assemblée générale du 3 janvier 2022 que le résultat du vote par correspondance a été dévoilé. Effectué entre le 1er et le 15 décembre, il proposait de modifier les statuts de la société, afin que les femmes puissent y être intégrées. 2/3 des 945 membres ont participé à ce scrutin, dont 68% se sont opposés au changement proposé par un groupe de Payernoises nommé Les Adélaïdes. «Les gens se sont clairement exprimés, ils ont décidé de conserver la société telle qu’elle est. J’en prends acte», a réagi l’abbé-président Cédric Moullet à la sortie de l’assemblée, avant d’ajouter:«J’ai pensé que ce serait difficile, mais je n’avais pas anticipé des résultats si tranchés.»

Lucie Vonnez, présidente du collectif féminin Les Adélaïdes, regrette cette décision: «Nous trouvons très dommage que la société reste fermée. Nous n’abandonnerons toutefois pas, et nous demeurons optimistes sur une évolution possible.» Si elles ne jettent pas l’éponge, les Payernoises n’ont pas encore défini les prochaines actions qu’elles comptent entreprendre. Les Adélaïdes sont un collectif féminin d’une vingtaine de femmes, âgées de 20 à 30 ans, qui souhaitent changer la tradition pour mettre fin à «l’ambiance sexiste qui règne dans la cité de la reine Berthe quatre jours par an lors du Tirage». En effet, si les femmes ont le droit de cuisiner ou de danser avec les tireurs pendant cette fête, qui a lieu chaque année en août et qui rassemble des milliers de personnes, elles ne peuvent pas participer au tir. Pour Lucie Vonnez, leurs efforts n’ont cependant pas été vains:«Nous avons quand même obtenu 200 voix. Nous avons passé du temps à discuter avec les gens, mais c’est une grande société. Il est difficile de convaincre tout le monde.»

Forte de près de 1000 membres, la Société des tireurs à la cible de Payerne est la plus grande des 175 abbayes vaudoises. Fondée en 1736, elle fait partie des 81 sociétés qui n’acceptent pas encore de femmes, selon Patrice Deppen, directeur des tirs à la Fédération des abbayes vaudoises: «Nous estimons qu’il y a 1500 femmes parmi les 24’000 membres que nous comptons.» Mais les sociétés sont en train de changer. Patrice Deppen se dit surpris par la décision prise à Payerne: «Les abbayes sont des traditions vivantes, elles ont toujours évolué depuis le XIVe siècle. Nous les encourageons à s’ouvrir aux femmes, mais on ne peut pas les y obliger.»

Ah bon, je pensais naïvement que c’était illégal. Ce qui est piquant, dans cette affaire, c’est que ce sont des femmes qui se sont récemment illustrées en tir lors des deux derniers JO. A Rio 2016, Heidi Diethelm Gerber a obtenu la médaille de bronze au pistolet 25 m. A Tokyo 2021, la Suissesse Nina Christen a décroché l’or à la carabine 50 m à trois positions, 2 ans après avoir conquis le titre européen dans cette discipline, et le bronze dans l’épreuve de tir à la carabine (10 m). Nina Christen obtient ainsi le plus beau résultat de sa carrière. Cette tireuse professionnelle, employée comme soldate contractuelle à l’armée, offre au tir helvétique la 23e médaille olympique de son histoire. Le dernier homme à en avoir obtenu une fut Michel Ansermet, Sydney 2000, au pistolet feu rapide 25 m, et il faut remonter à 1920 pour qu’un tireur masculin obtienne plusieurs médailles. Les sociétés qui excluent les femmes ne voient donc pas plus loin que le bout de leur fusil, et se privent de résultats honorifiques.

La Suisse, une fois de plus, est en retard, comme pour le droit de vote (1971), l’assurance maternité en 1998, le droit à l’avortement en 2002, le congé maternité en 2004 (60 ans après son inscription dans la Constitution!), le congé paternité en 2020, de 2 semaines seulement. Il n’y a que pour le droit de mourir dans la dignité que notre pays est en avance…

Concernant la mixité, on me rétorquera que des mouvements féminins ont exclu les hommes. C’est vrai. En 1968, lors de la bouillonnante révolution sociale qui a traversé la terre entière, il y avait des réunions pour discuter de la société, des revendications pour la transformer et des actions à mener. Comme toujours, les hommes monopolisaient la parole et envoyaient les femmes préparer les sandwiches et servir le café. C’est ainsi qu’un groupe de femmes a décidé de fonder le MLF (Mouvement de libération des femmes), à la Sorbonne, afin d’aborder entre elles les problèmes qui les concernaient, notamment la contraception, l’avortement, leur place dans la société. Il était indispensable que les hommes ne soient pas autorisés à venir, pour qu’ils ne mettent pas leur grain de sel sur la sexualité des femmes et leurs revendications sociales et sociétales. Il nous fallait apprendre à prendre la parole, développer nos idées, débattre, avoir confiance en soi. Je me souviens avec tendresse de nos «groupes de conscience» où nous parlions de nos problèmes personnels, notamment l’éducation de nos enfants, et des réunions autour du spéculum. A l’aide d’un miroir, nous découvrions nos intimités, un grand moment, comme dans une scène du film L’Ordre divin de Petra Volpe, 2017, qui raconte la prise de conscience de femmes d’un petit village d’Appenzell au sujet de la votation du 7 février 1971 sur le droit de vote féminin.

Je comprendrais que des hommes se réunissent sans femmes pour discuter, par exemple, de leurs droits de garde en cas de divorce. Mais pas qu’une corporation, qu’elle soit de randonnée, cuisine, jeux de cartes, culture, bricolage ou tir, ferme sa porte aux femmes.

Que les Suisses ségrégationnistes aux bras noueux mordent la poudre!