Le salaire de la peur chez Manor

Unia Transjurane dénonce le dumping salarial pratiqué par le grand magasin lors d'un inventaire de nuit.

Unia Transjurane dénonce le dumping salarial pratiqué par le grand magasin lors d’un inventaire de nuit.

« Cela avait quelque chose d’irréel ». C’est en ces termes qu’une secrétaire syndicale d’Unia Transjurane a défini la scène qui s’est produite sous ses yeux.

Une douzaine de bus, plus de 150 travailleurs faisant la file pour accéder aux rayons de la succursale delémontaine de Manor pour un inventaire de nuit.
Le syndicat Unia Transjurane avait fait le déplacement pour accueillir ces dizaines de travailleurs précaires. Des informations ayant été transmises au syndicat la veille par quelques travailleurs concernés.

Conditions de travail difficiles et surtout salaires nettement en dessous des usages dans la branche. Unia Transjurane a dénoncé publiquement cette situation et accuse Manor de faire recours à de la main-d’œuvre bon marché. Autrement dit de s’adonner au dumping salarial.

Avec la complicité du Secrétariat d’Etat à l’Economie (SECO)

Une entreprise allemande, Sigma, détache des travailleurs pour le compte du groupe Manor. Cette société est spécialisée dans les inventaires. De nuit en particulier. Le magasin de Delémont est une des étapes de sa tournée helvétique.

Le Secrétariat d’Etat à l’Economie (SECO) a autorisé cette pratique. La réaction d’Unia n’a pas tardé.

Outre que l’autorisation échappe au principe de la « nécessité économique » pour du travail de nuit, il est surprenant que le SECO entre en matière sur du détachement de travailleurs étrangers, alors que la requête est adressée par l’entreprise adjudicatrice, Manor en l’occurrence, et non l’entreprise qui détache sa main-d’œuvre.

Une procédure lancée par Unia est en cours contre cette autorisation.
La direction de Manor a immédiatement contesté une quelconque sous-enchère salariale dans ce dossier. Le salaire horaire de base serait complété par une indemnité de 30 euros par nuit.

De son côté, l’entreprise allemande Sigma, confirme que des salaires à huit euros l’heure sont pratiqués. Mais uniquement pour les travailleurs en début de carrière… Nous voilà donc rassurés.

La réalité est que ces salaires, liés à des conditions de travail difficiles (horaires de nuit, nuitées et repas toujours à l’extérieur du domicile, voyages incessants) constituent bel et bien une sous-enchère salariale.

Revendications syndicales

La libre circulation des personnes a été soutenue par les syndicats lors des deux scrutins populaires (2004 et 2009). Mais cette position n’était pas un blanc-seing donné à la sous-enchère salariale. Les pouvoirs politiques et le patronat, s’étaient engagés à introduire des mesures d’accompagnement efficaces.

Il faut aujourd’hui des moyens financiers et des outils supplémentaires pour combattre le dumping salarial et social.

Au risque de voir la population définitivement embrasser les thèses, à caractères xénophobes, que véhiculent les mouvements tels que l’UDC ou le MCG.

A quelques jours du 1er Mai, les syndicats ont décidé d’en faire une priorité. Dans l’intérêt de tous les travailleurs.

Renforcer les mesures d’accompagnement

Le député popiste Pierluigi Fedele a déposé une motion pour réglementer les adjudications sur les marchés publics.

Une motion déposée par Pierluigi Fedele (CS-POP+Verts), demande au Gouvernement jurassien d’introduire dans la loi sur les marchés publics la notion de « responsabilité solidaire » pour les entreprises adjudicatrices qui sous-traitent une partie de leurs travaux

Dans son développement, le député popiste rappelle que les mesures d’accompagnement liées à la libre circulation des personnes trouvent aujourd’hui leurs limites. L’augmentation importante de la main-d’œuvre détachée ou de la problématique des faux indépendants, entraîne une pression accrue sur les conditions de travail dans un grand nombre de branches.

Les missions de ces entreprises ne durent souvent que quelques jours. Sans une augmentation importante des moyens à disposition des commissions tripartites, un contrôle efficace ne peut plus être assuré.
Un des moyens pour remettre un peu d’ordre dans la maison est d’introduire, dans les législations fédérales et cantonales sur les marchés publics, la notion de « responsabilité solidaire » des entreprises.

Exemple : une entreprise suisse se voit attribuer le mandat pour un grand chantier public dans le canton du Jura. Cette entreprise sous-traite une partie des travaux à de petites sociétés spécialisées dans l’une ou l’autre tâche.

Le suivi des entreprises laisse à désirer

Il s’avère que parmi ces entreprises, une emploie des travailleurs au noir et l’autre, détache des travailleurs en provenance de France. Toutes les deux ne respectent pas les dispositions conventionnelles en vigueur en Suisse.

Le contrôle et le suivi de ces entreprises ne sont pas toujours très évidents (mandats très courts). La responsabilité solidaire permettrait aux commissions paritaires ou aux commissions tripartites cantonales, de se retourner contre l’entreprise adjudicatrice.

Ces entreprises devraient ainsi redoubler d’attention et exiger des entreprises sous-traitantes, le respect des textes des conventions collectives de travail ou des dispositions légales.