Quand la production laitière se plie aux lois du marché

Rencontre avec Julien Robert, paysan à La Chaux-de-Fonds, qui se bat contre la baisse des prix.

Rencontre avec Julien Robert, paysan à La Chaux-de-Fonds, qui se bat contre la baisse des prix.

Le jeune agriculteur Julien Robert a repris en 2005 la gestion d’un domaine communal de La Chaux-de-Fonds en prenant le risque de construire à ses frais une nouvelle exploitation vouée à la production laitière. Le domaine comprend une surface de 65 hectares permettant l’élevage d’une quarantaine de vaches laitières. Sa production est destinée au centre de la Migros à Estavayer-le-lac.
Au moment de construire son rural, le litre de lait lui était payé à 85 cts le litre. Sur cette base, il a établi son plan financier. Aujourd’hui le prix du litre c’est réduit à 65 cts alors que ses charges financières sont identiques !

La baisse du prix du lait payé aux producteurs provient de la politique agricole conduite par la Confédération. A cela, il convient d’ajouter celle de la surproduction.

Autrefois, les agriculteurs de plaine vivaient surtout de diverses cultures. Avec la libéralisation de la politique laitière, nombreux sont devenus producteurs de lait. Autrefois, les exploitations de plaine produisaient notamment diverses céréales alors que les exploitations de montagne étaient destinées au lait et à la viande. Aujourd’hui la situation se trouve à la limite du supportable pour les paysans de montagne.

Des exploitations forcées de s’agrandir pour survivre

Julien Robert signale un autre méfait de la logique actuelle. La Confédération a décidé une baisse de la teneur en graisse dans le lait. Résultat, on a converti le surplus de graisse en beurre avec au terminus une surproduction de cet aliment !
Paradoxalement, un paysan possédant un petit domaine de 30 hectares et n’ayant pas investi dans son exploitation s’en sort mieux. Par contre, si un membre de la famille vient à reprendre le domaine, des transformations seront alors exigées par les législations en cours et la situation économique deviendra critique. Le petit domaine ne permettra plus à son propriétaire d’en vivre avec sa famille.

Concrètement, ce sont les charges d’intérêts qui pèsent sur les paysans. Les transformations et autres adaptations sont exigées par les autorités fédérales et cantonales. Les paysans doivent choisir entre transformer leur exploitation ou quitter la profession. Ceux qui restent s’endettent et leur vie devient un cauchemar, prisonniers qu’ils sont entre la passion de leur métier, les contraintes financières et l’évolution d’une société illogique.

La conception capitaliste de l’économie occasionne ainsi les mêmes ravages dans le monde agricole que dans le monde industriel, l’incertitude règne partout.
Pour corriger la situation, Julien Robert pense qu’il faudrait répartir les types de production en fonction des régions et limiter la production de lait par hectare. Cela inciterait les agriculteurs de plaine à redévelopper les cultures, bien que dans ce cas aussi, les pressions du marché ne faciliteront pas les reconversions.
Les logiques économiques distillent une lutte fratricide au sein du monde paysan comme au sein des entreprises industrielles, car pour conserver l’outil de production chacun est contraint de s’agrandir au détriment d’un autre.
Dans un cri du cœur, Julien Robert constate qu’une grande partie de la population des villes ne manifeste aucun intérêt réel pour le monde paysan. Les exigences de la vie campagnarde ceinturées d’obligations naturelles, légales et environnementales sont nombreuses et contraignantes. Il souligne dans un sourire qu’il faut traire, nourrir et nettoyer, 365 jours par an. Un noble travail mal récompensé.