Un mouvement qui interpelle la gauche

les indignés • La résistance des « Indignés » exprime non seulement une perte de confiance des peuples et notamment des jeunes dans l'avenir, mais aussi dans les partis de gauche, estime Jose Bustos, ancien guérillero argentin et réfugié politique en France.

La résistance des « Indignés » exprime non seulement une perte de confiance des peuples et notamment des jeunes dans l’avenir, mais aussi dans les partis de gauche, estime Jose Bustos, ancien guérillero argentin et réfugié politique en France.

Nul doute que le mouvement des « Indignés », qui a commencé en Espagne et se propage à d’autres pays (et pas seulement en Europe), a été inspiré par les événements qui ont mis à bas deux dictatures en Afrique du Nord. Si les problèmes socio-économiques et politiques de ces pays ne sont pas les mêmes que ceux que l’on trouve en Europe, les conditions d’émergence de ces grandes manifestations populaires restent similaires. En Tunisie ou en Egypte, la revendication principale de la foule a été, et reste, en premier lieu, la fin des dictatures. De même que l’abrogation des lois répressives et la défense sans restriction des libertés individuelles et collectives. Sans oublier l’instauration d’un gouvernement qui ouvre des perspectives de développement économico-social, au terme d’élections libres, ce qui suppose la pluralité d’expression politique et idéologique.

En Europe, les gens sont confrontés à une offensive du capital sans précédent, prenant la forme de plans d’austérité draconiens, avec réduction des salaires, licenciements massifs, augmentation de l’âge de la retraite et démantèlement progressif – à travers la privatisation des services publics – de ce qui restait de l’Etat-providence. Ces politiques typiquement néolibérales accentuent l’exclusion sociale, généralisent le manque de confiance dans l’avenir, en particulier chez les jeunes – et implique la perte de légitimité des institutions.

Ces différences n’ont pas échappé à ceux qui ont créé en Espagne le mouvement M15, mouvement à l’origine des « campements » et « assemblées » sur les places des grandes villes. En témoigne le fait qu’ils ont choisi l’exigence ambiguë d’une « Démocratie réelle maintenant », comme titre de leur Manifeste. De quelle démocratie parle-t-on ? S’agit-il d’améliorer simplement l’actuel système électoral (accusé de bipartisme), ou plus largement de rejeter la société capitaliste, fondée sur une démocratie politique qui n’a aucune incidence économique et qui légitime au contraire les inégalités les plus aiguës.

Malgré cette limitation, qui peut être interprétée comme un manque de vision, le mouvement a réussi à se développer. Dans de nombreuses villes, généralement le soir, une foule nombreuse, en particulier les jeunes, se réunit pour exprimer avec énergie qu’elle en a assez de cette situation et qu’il faut apporter des solutions. Ces solutions, comme on le voit dans le cas des assemblées de Madrid ou de Barcelone, sont souvent ponctuelles et sectorielles, comprenant des mesures pour lutter contre le chômage, pour résoudre les problèmes de logement, pour défendre les services publics ou pour contrôler de façon plus stricte l’activité bancaire. On est finalement assez loin de la révolution, ou, plus modestement, d’une refonte complète du pays.

Un rejet instinctif du capitalisme

Ces mouvements, du fait de leur nature spontanée et sans projet organique précis, ni objectif stratégique, sont pourtant condamnés, tôt ou tard, à s’estomper. Sans capacité de peser économiquement ou politiquement (les partis politiques et syndicats ne sont pas acceptés), ces réunions nocturnes ne représentent pour l’Etat aucun problème, si ce n’est d’ordre public.

L’expérience de ces réunions reste pourtant extrêmement importante et mérite tout le soutien possible. Elle montre en effet un rejet instinctif du capitalisme et, surtout, la volonté ne pas se résigner face à des conditions de vie déplorables, véritable affront à la dignité humaine.

Perte de crédibilité des partis de gauche

Dans le même temps, il est inévitable que les partis de gauche, en particulier ceux qui targuent d’être de la gauche radicale (par opposition aux réformateurs, qui ne questionnent même plus les fondements du capitalisme) réfléchissent sur leur perte de crédibilité et de confiance dans les secteurs les plus durement touchés par la crise. La situation est paradoxale. Alors même que s’accentuent les ravages – non seulement sociaux, mais aussi environnementaux – causés par la crise du capitalisme et la capacité de résistance des peuples, moins on apprécie dans le paysage politique la présence et la parole d’orientation des partis de gauche.
Il est important de prendre conscience de cette situation. Le capitalisme ne va pas disparaître de lui-même. L’humanité a besoin de mettre au point une nouvelle alternative, qui ne peut être que socialiste et cette alternative libératrice doit susciter l’adhésion de nombreux secteurs sociaux, les poussant à l’action révolutionnaire. Mais comment pourtant concevoir ce processus sans la participation des partis de gauche ?


(Trad. de l’espagnol : Joël Depommier)