Le canton a adopté en votation une baisse des impôts pour les entreprises, qui va relancer la
concurrence fiscale entre cantons et conduire à la réduction des prestations publiques.
Que du bonheur après la votation du 19 juin dernier. C’est du moins ce qu’expriment les milieux au pouvoir ou proche de lui, à savoir les grands partis, les milieux financiers et les défenseurs de « l’économie avant le reste ». Toutes les communes ont dit oui à la nouvelle loi fiscale baissant le taux d’impôt de 10 à 5% pour les personnes morales et toutes ont préféré le contre-projet officiel à l’initiative demandant une crèche pour chaque enfant, comme le souhaitait le gouvernement. Que du bonheur on vous dit ! Les résultats sont sans appel. La réforme de la fiscalité l’emporte avec 76,8% de bulletins positifs. L’initiative sur l’accueil des enfants est largement rejetée avec 71,8% de « non » et le contre-projet obtient 73% de « oui ». Les médias soulignent également cet excellent résultat qui présente selon eux, une image positive du canton de Neuchâtel. « Le Conseil d’Etat à majorité libérale-radicale est désormais pris en exemple et salué pour sa capacité à anticiper », écrit Le Temps. « En mettant toutes les entreprises sur le même plan, elle répond aux demandes de l’Union européenne », souligne l’Agefi. Le Conseiller d’Etat Jean Studer, par qui tout est arrivé au sein du gouvernement à majorité de droite, aurait passé une bonne nuit de sommeil dimanche soir selon la presse cantonale. Il a réussi son pari.
Que du bonheur ? Pas certain !
Que du bonheur ? Pas certain ! Pour aller à rebrousse-poil du contentement presque général, soulignons que cette votation, qui intéressait l’Europe entière, a été boudée par la très nette majorité du peuple neuchâtelois. Une participation moyenne de 28,6% représente un score bien léger pour un projet d’une telle envergure. Le taux d’acceptation est net, soit, mais osons un début d’analyse de ce résultat qui est une gifle pour la démocratie.
D’après certaines sources, la participation aurait pu être plus importante lors de la première votation du 3 avril dernier, finalement annulée par décision du Tribunal fédéral. Les citoyens ont-ils boudé la deuxième votation, exaspérés par le Conseil d’Etat et ses manœuvres ? Sur les 28% de participants aux urnes, les 72% qui ont approuvé la réforme ne représentent-ils pas les milieux économiques et financiers, ainsi que les grands partis, alors que les 28% d’opposants sont formés par des citoyens politisés cherchant à voir un peu plus loin que l’intérêt immédiat ?
Soumission des collectivités aux intérêts des entreprises
Pour justifier la réforme neuchâteloise, Jean Studer dit que les autres cantons n’ont pas renoncé, eux, à des millions et des millions d’impôts pendant 35 ans. Par cette déclaration, le ministre avoue, à demi-mot, que le canton de Neuchâtel a perdu des millions pour satisfaire les milieux économiques. Les exonérations fiscales ont peut-être permis de sortir le canton de la crise horlogère, mais le ministre des finances omet un détail. Si ces exonérations avaient été supprimées, le canton de Neuchâtel serait dans une bien meilleure situation financière. Or, ce laisser-faire pèse sur les habitants du canton et est à l’origine de beaucoup de réductions de prestations publiques. Chez les socialistes aussi la soumission aux règles de l’économie menace la cohésion sociale que devrait défendre tout gouvernement.
La nouvelle loi n’empêchera pas les exonérations fiscales. Dans la presse cantonale, le magistrat préposé au tiroir-caisse cantonal explique qu’il n’y aura plus d’exonération fiscale au-delà de 2015 – 2016. S’il devait en avoir, il précise que le gouvernement informerait, ajoutant aussi que si une exonération est accordée, ce sera pour des projets d’une telle importance qu’il n’y aura pas besoin d’informer, par exemple dans le cas où Google s’implanterait à La Chaux-de-Fonds. Bref, plus l’entreprise est grande et riche, plus elle aura la chance de bénéficier d’une exonération fiscale.
Supprimer les exonérations pour augmenter les recettes fiscales
Avec ce vote neuchâtelois, la concurrence fiscale entre les cantons est relancée, comme le craignaient les opposants à la réforme. Le canton du Jura présentera sous peu des réformes de la fiscalité des entreprises. A Genève un groupe de travail planche sur le même dossier. A Fribourg, la réforme a déjà été lancée et elle avance progressivement. Claude Lässer, son ministre des finances dit que les impôts des entreprises ont déjà été réduits de 20% en trois ans et que le processus continuera. Dans le canton de Vaud, ce sont les libéraux-radicaux qui mettent la pression. En conclusion, nous reprendrons à notre compte les propos de l’écologiste neuchâtelois, Laurent Debrot. Le député a rappelé que la concurrence appauvrit les Etats. Il a précisé qu’actuellement une vingtaine d’entreprises perdent leur exonération chaque année, ce qui permet au canton une augmentation de ces recettes fiscales pour le canton. La soumission des collectivités publiques aux besoins égoïstes des entreprises ne peut pas être un projet d’avenir.
Reste encore à comprendre les votes des citoyens. « Les gens ne votent pas à gauche ou à droite, mais pour le projet dont ils pensent qu’il répond le mieux à leurs intérêts immédiats », prétend un militant du POP, qui réfléchit plus loin que ses intérêts immédiats Voilà de quoi faire penser durant l’été. Oui, que du bonheur, mais pas pour tous et pas pour après-demain.