Engagé volontaire en 1936 dans les Brigades internationales en Espagne, à l’âge de 16 ans seulement, Eolo Morenzoni est décédé. Avec lui disparaît l’un des derniers Suisses ayant défendu la République espagnole attaquée par les franquistes.
« Chers parents, je ne peux faire autrement, je dois écouter l’appel de mon cœur. Je dois me rendre en Espagne pour me battre, pour mettre tout mon courage et ce que votre amour m’a appris au service de la cause. De tout cœur, je vous remercie de ce que vous avez fait pour moi. Viendra un jour où je pourrai vous rendre ce que vous m’avez donné. Je sais que je suis jeune, mais cela veut-il dire que je dois perdre mon temps et ma jeunesse au Tessin ? Je vous ferai honneur. Pardonnez-moi mes fautes et mes manquements. Ne croyez pas que quelqu’un m’a monté la tête. Ce que je fais, je le fais en accord avec moi-même. Au lieu de m’exprimer avec la plume, je me sens le devoir de combattre les traîtres avec un fusil ou une mitrailleuse. Je vous ferai savoir comment vont les choses, au revoir. » C’est avec cette lettre laissée à ses parents qu’Eolo Morenzoni s’enfuit de chez lui le 13 novembre 1936, jour de son seizième anniversaire. Il emprunte de l’argent à un avocat socialiste et prend le train pour l’Espagne avec un camarade.
Proclamée en 1931, la République espagnole est menacée par un soulèvement militaire nationaliste, soutenu par l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie. Le Komintern, l’internationale communiste, décide de secourir la jeune république en envoyant des combattants. Plus de 35’000 volontaires d’une cinquantaine de pays répondent à l’appel et rejoignent les Brigades internationales. Membre de la Jeunesse communiste tessinoise depuis 1932, Eolo part avec 800 autres Suisses.
Une balle dans l’épaule
Les volontaires sont rassemblés sur la base d’Albacete où le jeune homme reçoit une instruction militaire avec un bâton, faute d’armes. Puis, il est envoyé sur divers fronts. Il participe notamment aux combats de Teruel, de la Sierra Nevada, de Cordoue et de Brunete. Eolo est incorporé dans la brigade Garibaldi, qui regroupe les communistes et antifascistes italiens, et sert aussi dans le bataillon Tchapaïev commandé par le Zurichois Otto Brunner. Bien commandées et disciplinées, les Brigades colmatent les brèches du front un peu partout. Beaucoup y laisseront leur peau. Quelque 170 Suisses ne reviendront pas. Presque tous seront blessés. Eolo reçoit une balle en travers de l’épaule. Il y a la mort, les blessures, mais aussi le froid et la faim. Le brigadiste est réduit un jour à manger des souris. Blessé à nouveau, il est retrouvé par ses parents qui le ramènent en Suisse au début 1938.
« Vous êtes l’Histoire, la légende »
A l’automne de la même année, le gouvernement républicain accepte, à la demande de la Société des nations, de dissoudre les Brigades internationales. Réunissant 300’000 personnes, une cérémonie d’adieu se tient à Barcelone au cours de laquelle Dolores Ibarruri, « La Pasionaria », prononce un vibrant hommage aux brigadistes : « C’est fiers que vous pouvez partir. Vous êtes l’Histoire, la légende, vous êtes l’exemple héroïque de la solidarité et de l’universalité de la démocratie. »
De retour au Tessin, un tribunal militaire condamne Eolo à quarante-cinq jours de prison ferme pour « affaiblissement de la force défensive du pays » alors qu’il n’a pas 18 ans. Les tribunaux militaires prononcent dans la foulée 420 condamnations à des peines de 15 jours à 4 ans de prison ferme à l’encontre des brigadistes suisses. Il faudra attendre 2009 pour que les chambres fédérales acceptent de les réhabiliter.
Dans l’impossibilité de trouver un emploi au Tessin du fait de son engagement politique, Eolo déménage à Berne où il travaille comme chauffeur et homme à tout faire à la légation de Roumanie. C’est dans cette ville qu’il rencontre sa future épouse, Marianne. En 1956, le couple s’installe à Genève où Eolo devient le directeur de la Gare routière jusqu’à sa retraite en 1985.
Eolo avait continué à militer alors que le Parti communiste suisse, interdit en 1940, était passé dans la clandestinité. Arrêté en 1942, il croupira un mois en prison pour une simple distribution de tracts le 1er Mai. Membre fondateur du Parti suisse du Travail – POP, il cessera ses activités politiques en 1952, après l’exclusion de Léon Nicole, conservant cependant toujours sa carte au parti.
« Il faut continuer le combat »
Début 2010, le Conseil administratif de la Ville de Genève lui a décerné la médaille « Genève reconnaissante ». « Je ne mérite pas un tel hommage, mais je l’accepte, car, à travers moi, ce sont les camarades morts en combattant le fascisme qui sont remerciés », déclare-t-il lors de la cérémonie. « Ce combat était essentiel car c’est grâce à ces militants, qui ont montré que la solidarité avec le peuple était plus forte que tout, que la résistance a pu se faire plus tard en Europe. Les brigadistes ont servi de modèle », a-t-il poursuivi, en ajoutant qu’« il faut continuer à mener le combat contre les injustices ».
Fidèle abonné de Gauchebdo, Eolo Morenzoni était aussi voisin de notre rédaction à la rue Dancet. Il venait souvent nous taper sur l’épaule pour nous encourager.
C’est aussi à la rue Dancet, à deux pas de l’ancien Palais des expositions, où furent abattus treize militants antifascistes le 9 novembre 1932, que la conseillère administrative Jacqueline Burnand, elle-même fille de brigadiste, fit ériger en 2000 un monument en l’honneur des Brigades internationales. Tous les 1er Mai, on pouvait rencontrer Eolo devant l’œuvre de Manuel Torres représentant trois Suissesses volontaires en Espagne.
Le 25 juin dernier, notre camarade s’est endormi paisiblement à l’hôpital des Trois-Chênes, entouré des siens.
Avec Eolo disparaît l’un des derniers de nos pères dont l’engagement et le sacrifice contre le fascisme et le nazisme, en Espagne et dans les maquis, ont marqué plusieurs générations de militants et nous ont permis de vivre en paix depuis 1945. Ils ont écrit l’une des plus belles pages de l’histoire de l’humanité et nous tâcherons de transmettre leurs précieuses valeurs que nous avons reçues en héritage.
Pour un récit des aventures d’Eolo, on lira Les oubliés. Trois Suisses de la guerre d’Espagne de Pierre Bavaud et Jean-Marc Béguin, éd. Cabédita, 1998.