Le mercredi matin fait couler un flot d’encre

Charles Beer envoie ses consignes de vote à ses enseignants en guise de voeux 2012. Stupeur.

Charles Beer envoie ses consignes de vote à ses enseignants en guise de voeux 2012. Stupeur.

Votation cantonale populaire, la question de la réintroduction de l’école le mercredi matin pour les enfants de la cinquième primaire (5P) à la huitième primaire (8P), respectivement de 8 à 11 ans, divise la gauche et la droite et ne fait de loin pas non plus l’unanimité au sein des parents et des enseignants du primaire, organisés en comité référendaire « Non au mercredi matin ». La force de l’opposition a-t-elle décontenancé le Conseiller d’état Charles Beer, à la tête du Département de l’Instruction publique, de la culture et du sport (DIP) ? Dans sa lettre de vœux pour la nouvelle année, adressée fin janvier à ses enseignants, il les enjoint, dans des formules à peine voilées, à voter en faveur du mercredi matin, après avoir, au préalable, reconnu leur travail et les en avoir remerciés. « Le retour à la semaine d’école repartie sur 5 jours, comme partout en Suisse, nous permettra d’aborder sereinement la mise en œuvre du Plan d’études romand sans avoir à densifier les enseignements, sans avoir à sacrifier certaines disciplines au profit d’un meilleur apprentissage du français et de l’allemand, de l’introduction de l’anglais », écrit-il, reprenant les arguments évoqués pour soutenir le projet de loi, arguments qui semblent parfaitement déplacés dans cette lettre de vœux pour la nouvelle année.

La Société pédagogique genevoise (SPG) n’est pas en reste, puisqu’elle a adressé au Conseiller d’état une lettre dans laquelle elle le questionne ouvertement sur ses véritables intentions derrière cette lettre. « Est-ce une manière pour vous de faire campagne ? », demande-t-elle. L’opposition au projet de loi, menée de front par le comité référendaire « Non au mercredi matin » mais également par la SPG, ne chôme par ailleurs pas : une journée de mobilisation est notamment prévue le 3 mars dans les rues de Genève et un spot dans les cinémas ainsi que dans les Transports publics genevois (TPG) tourne actuellement. Par ailleurs, les arguments avancés par le Département de Charles Beer et, par extension, le Conseil d’Etat, sont démontés un à un sur le site web du comité référendaire. Le peuple tranchera définitivement le 11 mars.

Les enseignants du primaire avalent la réforme de travers

« Nous ne sommes pas a priori contre l’instauration du mercredi matin ou une augmentation de l’horaire si cela sert à aider les élèves en difficulté. Mais ce ne sera pas le cas. L’important n’est pas la quantité, mais la qualité et l’engagement de 150 professeurs supplémentaires ne sera pas suffisant. » Tel est l’avis de deux enseignants du primaire, qui se considèrent représentatifs de la base.

Le Département ne veut-il pas introduire durant ces périodes une initiation à l’anglais nécessaire selon le Plan d’études ? Ces heures pourraient facilement être placées durant le reste de la semaine. « Reste aussi à savoir ce mercredi matin amènera. Une nouvelle fonction d’enseignants ? Des enseignants bouches trous ? Des enseignants spécialistes comme au secondaire ? En d’autres termes, la fin de l’école primaire que nous avons toutes et tous connue », s’interrogent-ils.

Manque de moyens

Selon eux, le problème principal réside dans le manque de moyens. Ceux qui sont dévolus au primaire restent notoirement insuffisants par rapport au secondaire. « Ces dernières années, on a réduit ou supprimé les cours d’appui pour les élèves en difficulté, les cours de couture, de travaux manuels ou de rythmique. Elles sont pourtant indispensables pour le bon développement de l’enfant », se lamente CC*. L’enseignante avoue même avoir acheté du matériel pédagogique ou des ordinateurs pour assurer sa mission. « Les élèves sont censés, selon le plan d’études, avoir une initiation à l’informatique de 45 minutes sur 2 semaines. Mais avec un ordinateur pour 20 élèves, cela veut dire que chacun n’a droit qu’à 9 minutes de cours », dénonce-t-elle.

« Les moyens pour le primaire ont été redéployés vers le Réseau d’enseignement prioritaire (REP), ce qui est bien, mais aussi vers la création de 90 postes de directeurs salariés dans les écoles », renchérit PT*. Pour lui, la mise en place d’un mercredi matin d’école se fera aussi au détriment des activités extrascolaires – que cela soit dans le domaine sportif ou culturel – nécessaires à l’enfant. Lui-même prend de son temps pour accompagner des élèves dans des tournois divers qui sont organisés le samedi ou le mercredi en sus de son horaire de 29 périodes.

« Nous n’avons plus d’infirmière »

« Les enseignants sont de plus en plus démotivés par la surcharge de travail », précise-t-il encore. « Nous accueillons dans nos classes des élèves dyslexiques ou dysphasiques, sans avoir le moindre soutien pédagogique », explique-t-il. « Depuis deux mois, nous n’avons plus d’infirmière. Je ne sais pas comment nous réagirions en cas d’épidémie de rougeole », proclame-t-il.

De plus pour PT, l’enjeu de Charles Beer dans cette votation est d’obtenir une victoire politique « afin que son ego surdimensionné soit au top ». « La réelle vision pédagogique, il n’en tient pas compte et de toute manière il laissera la patate chaude des résultats de ces votations à son successeur », explique PT. Autant de raisons qui le pousseront, comme tous ses collègues, à voter non à l’introduction du mercredi matin à l’école primaire.

* noms connus de la rédaction