Dépasser le seul développement durable

Une véritable politique écologique demande que la défense de l'environnement soit couplée avec une remise en question de l'organisation de la production et des modes de vie capitalistes.

Une véritable politique écologique demande que la défense de l’environnement soit couplée avec une remise en question de l’organisation de la production et des modes de vie capitalistes.

Le groupe de réflexion du POP neuchâtelois a examiné deux livres traitant de l’écologie.

Le premier, intitulé Les deux âmes de l’écologie de Romain Felli, enseignant de l’histoire des idées politiques à l’Université de Lausanne, veut comprendre si le concept de développement durable est l’aboutissement de la pensée écologique dès son origine ou s’il s’agit de deux courants différents. En analysant divers textes, Romain Felli constate que dès le départ deux tendances apparaissent. L’écologie par en bas, ou écologie politique, et l’écologie par en haut ou développement durable. La première se veut révolutionnaire dans la mesure où elle observe qu’il n’est pas possible d’avoir une pratique écologique au sein du système capitaliste. La seconde s’approprie la sensibilité écologique pour la mettre au service du système de croissance capitaliste. En tête du livre, une citation de Louis Schweizer, ancien PDG de Renault, annonce la tendance : « Le développement durable n’est ni une utopie ni même une contestation, mais la condition de survie de l’économie de marché ». Les tenants du développement durable exigent une réorientation de l’économie, afin de préserver à long terme le système existant et le rendre durable. Romain Felli démontre que le développement durable ne s’est pas construit sur ou à la suite de la réflexion écologique de base, mais contre l’écologie politique, qui, elle, veut promouvoir un autre type de société. L’autonomie, l’autogestion, la décentralisation, la critique de la technique et les dépassements du capitalisme visés par l’écologie par en bas s’opposent à la centralisation, la planification, la technique et l’expertise défendues par l’écologie par en haut. Citant Cornelius Castoriadis, Romain Felli rappelle que « ce que le mouvement ouvrier attaquait, c’était surtout la dimension de l’autorité. Ce que le mouvement écologique a mis en question, c’est la position des rapports entre l’humanité et le monde et finalement la question centrale et éternelle : qu’est-ce que la vie humaine ? Nous vivons pour quoi faire ? » Pour l’écologie politique, la défense de l’environnement ne peut être découplée d’un changement dans l’organisation de la production, soit le passage à un système productif qui ne soit pas basé sur la volonté de croissance. L’objectif devrait aboutir à un changement des modes de vie et de production et non la défense de la nature en soi. Alors que le capitalisme s’intéresse à l’environnement pour prolonger son existence et découvrir de nouvelles sources de profits. L’auteur cite André Gortz, qui, en 1974, évoquait la contradiction entre « leur écologie et la nôtre » en posant la question fondamentale suivante : « Que voulons-nous ? Un capitalisme qui s’accommode des contraintes écologiques ou une révolution économique, sociale et culturelle qui abolit les contraintes du capitalisme et par là même instaure un nouveau rapport des hommes à la collectivité, à leur environnement et à la nature ? Réforme ou révolution ? » Pour le même André Gortz, « le choix écologiste est clairement incompatible avec la rationalité capitaliste. Il est tout aussi incompatible avec le socialisme autoritaire qui est le seul qui ait été installé à ce jour. »

Marx écologiste

Le second livre, écrit par le marxiste John Bellamy Foster, porte pour nom Marx écologiste. Cet auteur états-unien a recherché dans divers écrits de Marx, d’Engels et d’autres personnalités de leur époque, des propos en référence avec l’écologie. Ainsi, dans le premier volume du Capital, Marx parle de « l’aspect destructeur de l’agriculture moderne » et énonce que « le capitalisme a rompu de façon – irréparable – l’interaction métabolique entre les êtres humains et la terre », c’est-à-dire la condition éternelle, imposée par la nature, de la production. Une agriculture rationnelle, qui suppose soit de petits fermiers indépendants produisant chacun de son côté, soit l’action de producteurs associés, est impossible dans le cadre du capitalisme moderne. Pour Marx, les conditions existantes imposent une régulation rationnelle de la relation entre les êtres humains et la terre, ce qui pointe au-delà de la société capitaliste, vers le socialisme et le communisme. Dans Le Capital, il est question de « la condition générale du métabolisme entre l’homme et la nature, la condition naturelle éternelle de la vie des hommes ». On découvre que Marx dénonce l’utilisation abusive du système capitaliste contre la nature et contre les hommes. La séparation des travailleurs d’avec la terre est définie comme la contradiction fondatrice du capitalisme.

Ces deux ouvrages sont importants pour mieux approfondir les relations entre les marxistes et les écologistes. La croissance et l’industrialisation des sociétés pour rendre les gens heureux sont-elles toujours d’actualité ?


Romain Felli, Les deux âmes de l’écologie. Une critique du développement durable, éd. de L’Harmattan, Paris 2008, 102 pages, 11 euros ; John Bellamy Foster, Marx écologiste, éd. Amsterdam, Paris 2011, 144 pages, 12 euros.
Ces ouvrages peuvent être commandés à la Librairie populaire : 5 pl. Chauderon, 1003 Lausanne, tél. 021 646 86 75, fax 021 320 06 97, librairie(at)gauchebdo.ch