Dans un immeuble de Champel, quatorze baux ont été résiliés et les locataires expulsés dans le but de
multiplier le montant des loyers. Une affaire qui pourrait paraître banale si le compagnon et avocat de la propriétaire
n’était autre que le conseiller national Mauro Poggia, grand défenseur devant l’Eternel de la veuve et de l’orphelin.
Alors que sévit à Genève une sévère
crise du logement, tout est bon
pour des propriétaires peu scrupuleux
dès qu’il s’agit d’augmenter les rendements
de leurs immeubles. Dans le
but de tripler, voire quadrupler le montant
des loyers encaissés, certains n’hésitent
pas à donner leur congé aux locataires.
Tel est le cas de la propriétaire de
l’immeuble sis au 16, route de Florissant,
acquis en 2004 pour une bouchée
de pain – un peu plus de 5 millions de
francs – à la Fondation de valorisation
des actifs de la BCGe, dite « fondation
des casseroles ». Depuis lors, selon nos
informations, quatorze baux sur trente
ont été résiliés dans cet immeuble du
quartier de Champel. Une affaire qui
pourrait paraître banale si le compagnon
et avocat-conseil de la propriétaire
n’était autre que le député et conseiller
national Mauro Poggia. Et si le pourfendeur
des assurances maladie ne cultivait
l’apparence d’un défenseur de la
veuve et de l’orphelin.
« On a connu l’enfer, ça nous a rendu malades »
« L’immeuble était dans un état lamentable
avec des appartements de 4 pièces
loués à 600 francs. Les résiliations visent
à rentabiliser l’immeuble. Mais aucune
personne âgée n’a été mise à la porte »,
assure Mauro Poggia. L’avocat place la
barre très haut puisque l’un des premiers
locataires congédiés était alors
âgé de 73 ans. « La manière dont ils se
sont débarrassés de ces gens est inélégante.
Ils ont fait pression sur des personnes
âgées, des gens sensibles, j’appelle
cela du mobbing », témoigne un
locataire actuel. « On a connu l’enfer,
c’était l’horreur, on a beaucoup souffert,
ça nous a rendu malades »,
confirme une expulsée.
Officiellement, bien entendu, ces quatorze
congés n’ont été donnés que pour
accueillir les membres d’une famille qui
s’avère bien nombreuse. Une explication
qui n’a cependant pas paru crédible
à deux reprises au Tribunal des
baux et loyers, saisi par des locataires
éconduits. Procédurier, Mauro Poggia
est allé jusqu’au Tribunal fédéral pour
tenter de convaincre de la bonne foi de
sa compagne. En vain. « La recourante a
prétendu qu’elle avait donné le congé
pour mettre le logement à disposition
de son frère qui, habitant momentanément
dans un 2 pièces, avait besoin
d’un logement plus grand. Pour étayer
ce besoin, elle a affirmé qu’une des
filles de ce dernier vivait avec lui. Or,
cette affirmation s’est révélée fausse.
Elle a allégué aussi que la compagne de
son frère était enceinte, ce qui suggérait
l’idée d’une naissance prochaine et
d’un besoin accru de surface. Or, la
compagne du frère de la recourante n’a
pas eu d’enfant et aucune grossesse n’a
été prouvée », peut-on lire dans un arrêt
du Tribunal fédéral datant de 2010. Un
an plus tard, les juges de la cour
suprême sont encore plus sévères pour
la propriétaire en relevant « une étrange
gestion de l’immeuble » : « On peut
sérieusement penser que la recourante
utilise des personnes qui lui sont
proches comme des prête-noms en vue
de pratiquer des sous-locations à des
prix élevés. »
Le montant du loyer passe de 1’600 à 5’400 francs
Des prix prohibitifs que ne peuvent se
payer les Genevois « de souche », que
Mauro Poggia, en tant qu’éminent
membre du Mouvement Citoyens
Genevois (MCG), prétend défendre.
D’après nos sources, quatre appartements
sont aujourd’hui loués à Japan
Tobacco International (JTI), propriétaire
des marques Camel et Winston, et
deux autres à la banque BSI. « Je sais
que JTI a deux appartements, mais je
ne suis pas au courant pour cette
banque. Je ne gère pas l’immeuble, j’assiste
seulement la propriétaire dans les
procédures juridiques », précise l’avocat.
D’après un document que nous avons
pu consulter, la multinationale du tabac
louait en 2009 un appartement 5’400
francs par mois alors qu’il n’en aurait
coûté que 1’600 au précédent locataire.
« Je ne suis pas au courant et cela
m’étonne. Sans doute que cet appartement
est meublé », déclare encore
Mauro Poggia. L’ex et futur candidat au
Conseil d’Etat n’est pas choqué outre
mesure par le montant du loyer : « Cela
permet à d’autres locataires, âgés, de
payer de faibles loyers. »
C’est sûr qu’à ce prix-là, ces logements
ne trouvent pas preneurs rapidement.
En 2005, dans un courrier à la propriétaire,
Laurent Moutinot, alors chef du
Département de l’aménagement de
l’équipement et du logement, avait
« constaté que, sur les trente appartements
que compte l’immeuble, six
appartements semblent être vacants »,
« soit des appartements de 2 et 3,5
pièces répondant quant à leur genre
aux besoins prépondérants de la population
». Et le magistrat de rappeler la
teneur de la Loi sur les démolitions,
transformations et rénovations de maisons
d’habitation (LDTR) : « Un appartement
ne saurait être laissé vide sans
motif plus de 3 mois consécutifs. » Selon
des témoignages que nous avons
recueillis, huit logements seraient ainsi
restés vides durant deux ans. « Pas à ma
connaissance », élude Me Poggia. « Les
locataires n’étaient peut-être pas là
durant un certain temps. Il n’y a aucun
intérêt à laisser vides des appartements,
le but est tout de même d’encaisser des
loyers. »
Si des locataires se sont organisés en
association, aucun ne souhaite aujourd’hui
témoigner à visage découvert par
crainte de représailles. « Cette association,
c’est deux tondus et trois pelés »,
s’amuse Mauro Poggia. « En regardant
la façade de l’immeuble, vous saurez
qui sont les locataires qui résistent : ce
sont ceux dont les fenêtres sont en
mauvais état », indique un des membres
de l’association en question. Ceux-ci ont
en effet été privés des double-vitrages
installés aux autres locataires lors de la
rénovation de la façade, alors que l’immeuble
est situé à l’un des carrefours
les plus bruyants de Genève. « Je n’ai
pas vu de courrier de leur part exigeant
de double-vitrages. On ne peut pas avoir
le beurre et l’argent du beurre », ironise
l’avocat.
- Mauro Poggia ne voit pas d’inconvénient de louer à prix d’or des appartements à Japan Tobacco
International (JTI), la multinationale du tabac pourvoyeuse des Camel. (dessin Stéphane Montavon)