A l’encontre du mot d’ordre socialiste, Jean Ziegler et deux anciens présidents du
parti sont opposés au projet de nouvelle constitution soumis en votation le 14 octobre.
Alors que le Parti socialiste genevois (PSG) invite
le peuple à approuver le projet de nouvelle
constitution, voire à voter blanc comme la Jeunesse
socialiste, il paraît loin le temps où celle-ci brandissait
un phallus stigmatisant la droite, où le
conseiller national Carlo Sommaruga invitait la
gauche à déserter la Constituante, avant que le président
du parti de l’époque, René Longet, n’appelle carrément
à la dissoudre. Cependant, à l’encontre du mot
d’ordre du parti, des figures socialistes sont résolument
opposées au texte soumis en votation le 14
octobre.
Un texte inacceptable pour Dominique Hausser et Christian Brunier
« J’ai toujours dit que la révision de la constitution
genevoise, vu le rapport de force politique en place,
n’était pas une bonne idée : le risque de perdre un certain
nombre d’acquis étant bien plus important que la
chance de voir des améliorations », explique Dominique
Hausser. « Les travaux de la Constituante ont
montré pendant les premières années de ses travaux
que mes craintes étaient fondées. Et c’est grâce à
l’énergie des forces progressistes de la Constituante
que le texte final est moins pire que ce que nous avons
lu dans les premières versions. Cependant, s’il peut
sembler que le texte proposé couvre le même périmètre
que la constitution actuelle, il y a quelques éléments
fondamentaux qui rendent le texte inacceptable.
» Pour l’ancien député et président du PSG, « la
primauté de l’initiative privée sur la promotion du
bien public est clairement un retrait par rapport au
texte actuel, qui défend le service public. C’est le seul
point que l’on pouvait ainsi opposer à la constitution
fédérale, qui conforte la primauté du privé sur le
public. L’ensemble des droits annoncés sont certes
essentiels, mais ils sont déjà définis dans la constitution
fédérale et les textes internationaux ratifiés par la
Suisse. Donc le nouveau texte n’apporte rien au
citoyen qu’il n’ait déjà. Le maintien de l’organisation
communale actuelle, la déclaration à propos de la
région et la simplification de l’organisation cantonale,
qui fait disparaître les établissements de droit public
de la constitution, ne constituent pas des avancées,
mais plutôt un recul, le coeur du contenu d’une constitution
étant de définir les buts et objectifs, mais surtout
les structures qui vont les mettre en musique. »
Jean Ziegler, lui, dénonce l’article 112 qui offre au
Conseil d’Etat la possibilité de « solliciter l’appui de
l’armée ». « Après le massacre du 9 novembre 1932, cet
article est un scandale inacceptable. Que le Conseil
d’Etat puisse faire appel à l’armée pour le maintien de
l’ordre public est une régression scandaleuse », s’indigne
l’ancien conseiller national et rapporteur spécial
des Nations Unies. « Faire appel à l’armée pour
des interventions intérieures, contre la société civile,
est inacceptable et n’est pas conforme à la défense des
libertés », abonde dans son sens Christian Brunier,
ancien député et président du PSG. « L’ordre public
intérieur est une tâche de la police et non de l’armée.
Seule une infime minorité des constitutions cantonales
prévoient ce recours aux forces armées. Genève,
symbole de paix, capitale mondiale du désarmement
ne peut pas voter un texte aussi rétrograde et
contraire aux règles de bonne gouvernance », assure
Christian Brunier. Dominique Hausser relève qu’en
soumettant à autorisation les réunions et les manifestations
sur le domaine public, « l’article 32 inscrit dans
la constitution la légitimité de la loi sur les manifestations
votées récemment » et qui a été combattue par
la gauche.
« Une insulte à la classe ouvrière »
Jean Ziegler trouve une autre raison de se dire « absolument
opposé » à ce qu’il qualifie de « constitution
néolibérale ». Il s’agit de l’article 37, qui restreint le
droit de grève aux « relations de travail » et aux « obligations
de préserver la paix du travail ou de recourir à
une conciliation ». La grève peut être aussi interdite à
« certaines catégories de personnes » et limitée « afin
d’assurer un service minimum ». Ce n’est donc pas
sans raison que les syndicats rejettent un texte qui prohibe
la grève de solidarité et surtout la grève générale.
« Cette redéfinition du droit de grève est une insulte à
la classe ouvrière », souligne Jean Ziegler.
Une constitution qui prive 40% de la population genevoise d’expression citoyenne
Les militants de la campagne ViVRe
(pour vivre, voter, représenter) ont
lancé leur campagne contre la nouvelle
constitution devant le Mur des
Réformateurs. « Les quatre réformateurs
du XVIème siècle, tous étrangers
(trois Français et un Ecossais), ont fait
de Genève un pôle pionnier d’innovation
sociale vers qui les regards du
monde se sont tournés », explique, dans
un communiqué, le mouvement qui
milite pour le droit de vote et d’élections
des étrangers. « Les quatre-vingts
“réformateurs“ du XXIème siècle (soit
les constituants), tous suisses par obligation,
proposent de faire de Genève la
lanterne rouge romande et prêchent la
résignation au statu quo en matière de
droits civiques. » Coordinateur de
ViVRe et conseiller municipal écologiste,
Julien Cart précise que « ce projet
de nouvelle constitution contient
nombre de retours en arrière et les
seules petites avancées n’ont que très
peu de chance de pouvoir se refléter
concrètement dans les années à venir.
Une avancée en matière de droits politiques
des étrangers aurait été appréciable.
Or, les constituants ont préféré
céder à la peur et au rejet des étrangers,
là où tous les autres cantons
romands (Jura, Neuchâtel, Vaud) ayant
récemment entrepris un processus
similaire de refonte de leur constitution
ont fait un pas en avant en
matière d’élargissement des droits
civiques. Dès lors, et au vu des autres
reculs important affaiblissant l’Etat
social et la politique énergétique, il
apparaît évident que Genève a échoué
dans sa réforme et qu’il n’est pas possible
de voter en faveur d’un projet de
constitution qui continue de priver
d’expression citoyenne 40% de la population
du canton. »