Que la route fut longue et rude

Puisque je vais tenir la chronique féministe de Gauchebdo, il me paraît bon de brosser un bref historique de la condition des femmes et du droit de vote féminin. Quand j’ai eu ma majorité (20 ans, à l’époque), en même temps que ma maturité, je n’avais pas le droit de vote, contrairement aux garçons de...

Puisque je vais tenir la chronique féministe de Gauchebdo, il me paraît bon de brosser un bref historique de la condition des femmes et du droit de vote féminin.

Quand j’ai eu ma majorité (20 ans, à l’époque), en même temps que ma maturité, je n’avais pas le droit de vote, contrairement aux garçons de ma classe ou de mon quartier, même ceux qui avaient arrêté l’école à 15 ans. En outre, la section classique et la section scientifique étaient fermées aux filles. C’est la création du Cycle d’orientation, en 1962, qui a rendu l’école égalitaire à Genève.

Il a fallu attendre le 7 février 1971 pour que les hommes suisses daignent accorder le droit de vote à leurs mères, épouses et filles. Rappelons que le Tribunal fédéral a dû obliger Appenzell Rhodes-Intérieures à l’accorder sur le plan cantonal le 27 novembre 1990.

Le droit de vote est le premier de tous les droits, puisqu’il permet de s’exprimer, d’être élu-e, de représenter une partie du peuple, de proposer des lois, etc. Auparavant, les femmes devaient obéissance à leur mari, ne pouvaient travailler qu’avec son consentement et ne disposaient pas de leurs biens.

La Révolution française de 1789, qui a débouché sur la Déclaration des droits de l’Homme, a exclu d’entrée de jeu les femmes, alors qu’elles avaient été très présentes durant les manifestations et créé une centaine de journaux. Olympe de Gouges, qui publia en 1792 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, fut guillotinée l’année suivante. Le Code Napoléon (1804) fait des femmes des mineures civiles dès qu’elles se marient et réprime très sévèrement l’adultère des femmes. La Révolution de 1848 proclame le suffrage « universel » mais le réserve aux hommes. La France n’accordera le droit de vote aux femmes qu’en 1944, grâce à la volonté du général de Gaulle. L’Allemagne l’avait octroyé en 1919, en remerciement des services rendus par les femmes durant la première Guerre mondiale. Parmi les Etats les plus éclairés, citons la Nouvelle-Zélande (1893), l’Australie (1902), la Finlande (1906).

On ne peut pas dénombrer les débats politiques qui eurent lieu au sujet de l’introduction du droit de vote, dans tous les pays. Les arguments des opposants les plus souvent utilisés étaient le manque d’instruction des femmes (il suffisait de les instruire !) et leur facilité à être manipulées par l’Eglise, surtout dans les campagnes. Ou alors, on liait le droit de vote au service militaire. Il est vrai que pour ces messieurs, accorder le droit de vote aux femmes diminuait leur pouvoir. Non seulement ils ne seraient plus seuls à décider de tout, mais il faudrait faire de la place dans les parlements et les exécutifs.

Le 1er février 1959, deux tiers des hommes suisses l’avaient refusé et seuls trois cantons l’avaient accepté (Neuchâtel, Vaud Genève, qui l’ont accordé la même année ou l’année suivante sur le plan cantonal). En 1971, les proportions s’étaient inversées. Mais je me souviens des inepties qui précédèrent le vote historique qu’on lisait dans les journaux ou entendait sur les ondes, alors que tous les pays qui nous entourent l’avaient accordé depuis longtemps, sans avoir sombré dans le chaos.

Grâce au droit de vote et d’éligibilité, les Suissesses ont pu obtenir l’égalité au travail (1981, en vigueur seulement depuis 1996), l’équité entre époux (1988), la création de bureaux de l’égalité (dès 1988), la reconnaissance et la pénalisation du viol conjugal (1992), l’assurance maternité (2004, pourtant inscrite dans la Constitution depuis 1945 !), le droit à l’avortement (2002), l’égalité des époux en matière de nom et de droit de cité (01.01.2013).

Mais les femmes ont encore dû avaler un certain nombre de couleuvres : la non-élection de Lilian Uchtenhagen (PS ZH) au Conseil fédéral en 1983, trop brillante pour représenter les Suissesses (sic !). On lui préféra Otto Stich. La première femme à accéder au CF est Elisabeth Kopp, le 2 octobre 1984. Selon le schéma de 1983, Christiane Brunner est écartée du CF en 1993 pour Francis Matthey. Mais la mobilisation des femmes conduira à un deuxième vote qui élira Ruth Dreifuss, qui devint la première présidente de la Confédération en 1999. En 1995, l’initiative sur les quotas est refusée à 72%. Le 10.12.2003, Blocher est élu au CF après en avoir écarté Ruth Metzler, ce qui conduira à la « Veille des femmes » dans une caravane plantée à Berne, du 8 mars au 10 décembre 2004.

Que la route fut rude et longue ! Je garde dans mon cœur le nom des pionnières et des pionniers qui ont annoncé le droit de vote des femmes : Marie de Gournay, Poullain de la Barre, Condorcet, Olympe de Gouges déjà citée, George Sand, Jeanne Deroin, Victor Hugo, Hubertine Auclert, Léon Richer, Marguerite Durand, Jean Jaurès, Louise Weiss, la Genevoise Emilie Gourd, pour ne citer que ces personnalités.