L’ironie de femmes aux paroles d’hommes

THÉÂTRE • En création à Vidy, « Ça va » de Jean-Claude Grumberg est un spectacle à l'humour irrésistible pour dire d'absurdes banalités pleines de sens.

En création à Vidy, « Ça va » de Jean-Claude Grumberg est un spectacle
à l’humour irrésistible pour dire d’absurdes banalités pleines de sens.

Voilà un texte à l’humour
décapant où d’absurdes banalités
se chargent de sens pour
dire le mal-être et le dépasser par le
rire. Jean-Claude Grumberg, à qui la
vie a imposé de « rire pour ne pas
pleurer » (il est né juif en 1939 et son
père meurt en déportation), a saisi
au détour d’une rue ces deux mots –
« ça va » – qu’on lance sans vraiment
attendre de réponse et vous laissent
pantois lorsque l’autre se met à parler
de lui, du monde, de la vie, en accumulant
les lieux communs, les malentendus
et des vérités qui semblent
insignifiantes et révèlent pourtant
des abîmes de souffrance, de solitude,
d’interrogation.

Mais, comme le disait une actrice
dans la conversation après le spectacle,
il faut beaucoup de courage pour arriver
à le dire avec tant de légèreté, une
légèreté qui doit refléter cet irrépressible
désir de liberté qui a poussé Grumberg
à composer, à partir de cette formule
anodine, une série de dialogues plus ou
moins longs, que lancent avec talent et
gouaille Marilú Marini et Clotilde Mollet.
Elles sont femmes mais disent des
paroles échangées entre hommes.
Qu’importe, le mal-être n’a pas de sexe,
assure l’auteur, qui voit même dans
cette mutation un côté militant ! Et la
pièce n’est pas là pour camper des
caractères, mais seulement pour dessiner
des « silhouettes » qui évoluent dans
un cadre, au propre et au figuré, bien
réglé malgré des airs d’improvisation, et
qui se structure avec une part musicale
composée au rythme des mots – aucun
thème n’a plus deux notes, correspondant
ainsi aux deux syllabes de « ça
va » – et jouée au piano par Vincent
Leterme. S’inscrit aussi dans cette sorte
de mécanique répétitive, qui tourne par
moments comme les rouages d’une
horloge, une chorégraphie dont je ne
suis pas sûre qu’elle soit indispensable,
mais qui ménage dans le texte des
sortes d’entractes de silence. Mise en
scène, scénographie, éclairage, interprétation
se veulent une création collective.

On rit beaucoup ; cependant ces
échanges sur rien, presque rien ou
moins que rien révèlent les vraies questions,
reflètent avec une ironie caustique
certes, mais amère et même
cruelle, ce monde qui ne change pas. Et
cela au travers d’un « théâtre pour rire
et tendre la main, un théâtre bon
enfant, fraternel, un théâtre pour
temps de crise et de voeux pieux, qui
ne pousse pas du col et ne se mouche
pas du pied », explique Jean-Claude
Grumberg.


Ça va au Théâtre Vidy-Lausanne jusqu’au 17
mars. Infos et rés. sur www.vidy.ch et au 021
619 45 45.