« La Traviata » plutôt que le Walhalla

HOMMAGE • La musique de Giuseppe Verdi, dont on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance, reflète une sincérité profonde.

La musique de Giuseppe Verdi, dont on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance, reflète une sincérité profonde.

Verdi et Wagner sont nés la même
année 1813 et l’on célèbre donc leurs
deux bicentenaires. Les scènes d’opéra et
les festivals affichent à l’envi les titres de leurs
oeuvres qui n’ont pourtant pas besoin d’un
anniversaire pour être jouées. Il y a les inconditionnels
de Verdi et les fanatiques de Wagner,
et les admirateurs de l’un et de l’autre.
Entre commémorer Verdi ou Wagner, je choisis
Verdi. Pour l’homme qu’il fut et parce que
sa musique reflète une sincérité profonde,
rude, farouche, une lucidité sensible devant les
passions, les drames, l’être humain, la vie.

Figure emblématique du Risorgimento

Verdi, on le sait, s’est investi pour l’unité de
l’Italie et, au travers de certaines de ses oeuvres
(Nabucco avec le fameux choeur « Va, pensiero
» qui faillit devenir l’hymne national italien,
les Lombardi, La Battaglia di Legnano),
incarnait les idéaux patriotiques du Risorgimento
au point que son nom servit de cri de
ralliement, « Viva Verdi » signifiant « Viva Vittorio
Emmanuele Re D’Italia ». En fait il était
républicain, mais soutenait les efforts de Victor
Emmanuel pour réunifier son pays alors
sous le joug étranger, partagé entre Etats de
l’Eglise, régions dominées ici par les Autrichiens,
là par les Français et soumis, de ce fait,
aux vexations et à la censure des uns et des
autres. Il acceptera de siéger comme député
dans le premier parlement du royaume d’Italie,
puis sera même nommé sénateur. Il compose
son Requiem à la mémoire du poète
Manzoli, mort en 1873, partisan engagé
comme lui pour l’unité italienne.

Fibre sociale

Ce qu’on sait moins, c’est l’attachement de
Verdi à sa terre natale, son amour de la campagne,
de ses travaux. Il agrandit le domaine
autour de la maison de ses parents, qui
tenaient une auberge à Roncole, et sans être un
homme de gauche témoigne d’un engagement
social, qu’on appellerait aujourd’hui paternaliste,
mais qui ne l’en honore pas moins et
dénote d’une conscience politique clairvoyante.
La paysannerie italienne, donc une
majorité de la population, subit les contre
coups de l’industrialisation. Dans une lettre à
son avocat, en 1878, Verdi écrit : « J’ai dépensé
de l’argent qui a contribué à nourrir beaucoup
d’ouvriers pauvres…Vous devriez savoir que la
misère des classes pauvres est très grande… Si
j’étais à la place du gouvernement, je m’occuperai
du pain à manger ». En 1881, il fait
construire sur ses terres des étables et autres
bâtiments, mais précise : « Ces travaux sont
inutiles, ne me donneront pas un centime de
rente de plus, mais comme cela, les gens
gagnent leur vie ». En 1895, ils baissent le taux
des fermages, car, dit-il, « ces gens me servent ;
ils travaillent sur mes terres ; je me dois de leur
assurer une existence décente, quel qu’en soit
le prix pour moi ». Et il érige à Busseto, la ville
de ses années d’apprentissage, un hospice pour
les vieux et les infirmes qui ne peuvent plus
travailler. Il n’oubliera pas non plus les musiciens
âgés et fonde pour eux à Milan une maison
de retraites à laquelle, à sa mort, seront
légués ses droits d’auteur, la Casa Verdi, qui
existe toujours et dans laquelle lui et sa femme
sont enterrés.

Le choix de ses sujets d’opéra n’est pas anodin
et certainement révélateur de l’homme
autant que du compositeur. Verdi puisera son
inspiration dans Shakespeare, Schiller, Byron,
Hugo, Dumas et non dans une Antiquité stéréotypée
ou les mythes nordiques avec leurs
dieux, nornes, géants, gnomes et rites initiatiques.
Rien de ce qui est humain ne lui est
étranger. Il osera faire d’une prostituée, d’une
dévoyée, l’héroïne de son opéra La Traviata,
sans doute le plus célèbre et celui qui lui tenait
le plus à coeur ; l’audace d’un tel sujet, qu’il
voulait joué en costumes contemporains,
déconcerta. Rigoletto, Falsaff aussi présentent
des personnages méprisés par la société à qui
il donne leur poids d’humanité qui touche,
émeut et rappelle la réalité telle qu’elle se vit.

Lyrique et novateur

Wagner et Verdi réforment l’opéra. II devait
être dans l’air du temps de vouloir un autre
rapport entre livret et musique et de renoncer
aux récitatifs et airs séparés pour composer
une oeuvre continue. Donc il serait vain d’accuser
l’un d’avoir copié l’autre. Sinon pour
l’idée que Verdi reconnaît empruntée à Wagner
de mettre l’orchestre dans la fosse plutôt
que sur scène, ce qu’il fait pour Aïda. Mais si
l’opéra devient « symphonique » avec Wagner, il
reste lyrique et vocal avec Verdi. La modernité
de Verdi s’entend d’abord dans sa transgression
des règles du bel canto au profit de la vérité
expressive, le renouvellement des formes, des
harmonies, une instrumentation qui servent le
drame, l’intense adéquation entre texte et
musique. S’il n’a jamais écrit ses livrets, il a collaboré
activement à leur élaboration, visant la
concision et l’efficacité théâtrale. « En musique
comme en amour, il faut être sincère pour être
cru. »