Une caravane en plat de résistance

AGRICULTURE • En prévision de la Journée internationale des luttes paysannes du 17 avril, le syndicat Uniterre pédale dans toute la Suisse pour défendre une production locale, écologique et socialement responsable, des structures de distribution courte et une rémunération équitable pour les paysans.

En prévision de la Journée internationale des luttes paysannes du 17 avril, le syndicat
Uniterre pédale dans toute la Suisse pour défendre une production locale, écologique et socialement
responsable, des structures de distribution courte et une rémunération équitable pour les paysans.

Une autre agriculture est possible,
loin des lasagnes industrielles
à la viande de cheval,
des hectares de soja transgénique
comme au Brésil ou en Argentine
sous l’emprise de multinationales du
secteur ou de la production alimentaire
industrielle sous serre comme
à El Ejido en Andalousie, telle est la
conviction de la coordination paysanne
internationale Via Campesina
et du syndicat Uniterre en Suisse.
Par le biais d’une caravane à vélo
partie le 8 avril de Wädenswil (ZU)
et qui s’achèvera le 17 avril aux
Pâquis à Genève, le syndicat entend
promouvoir une vraie souveraineté
alimentaire.

Ce concept développé par Via
Campesina lors du sommet de la
FAO à Rome en 1996 s’oppose à l’organisation
des marchés mis en
oeuvre par l’Organisation mondiale
du commerce (OMC). L’objectif est
de rejeter le modèle d’un agrobusiness
basé sur le dumping social, le
libre-échange intégral et une production
uniforme et industrielle
pour la remplacer par une agriculture
de proximité, écologiquement
et socialement responsable. « La
souveraineté alimentaire telle qu’elle
est inscrite dans la Politique agricole
2014-2017 est
une coquille vide, car elle ne propose
aucune mesure concrète pour
favoriser la production locale, ni
pour permettre aux producteurs de
réaliser un revenu décent par la
production de biens alimentaires.
L’Etat n’impose aucun cadre au-delà
d’une ouverture accentuée des marchés.
Après le fromage, l’idée d’une
complète libéralisation du marché
laitier est dans l’air comme cela est
déjà le cas dans le secteur viticole
ou partiellement dans le marché de
la viande. Cette ouverture se fait
sans respecter aucun critère de
durabilité ou de proximité », nous
explique Rudi Berli, responsable
d’Uniterre.

Favoriser une traçabilité
complète des aliments

Pour mieux faire comprendre ces
enjeux, la Caravane a mis en
exergue différentes initiatives
durant son parcours en vélo. A
Wädenswil, la coordination a
défendu un exemple d’agriculture
contractuelle de proximité. La
coopérative zurichoise Wädichörbli,
lancée par un groupe d’étudiants en
agriculture, fournit chaque semaine
à ses adhérents consommateurs des
légumes et produits bio de saison.
Le contrat annuel qui lie les deux
parties permet de garantir à l’exploitant
un canal de vente à long terme,
à des prix équitables et au consommateur
de déguster une production
de qualité à un coût modique. A
Liesberg, dans la région bâloise, la
caravane a fait un détour dans la
première fromagerie contractuelle
de Suisse. Pour la fabrication du
fromage, Florian Buchwalder n’emploie
que le lait cru de ses propres
vaches qui se nourrissent dans les
prairies jouxtant la ferme, à
quelques encablures du Jura. Cette
fromagerie coopérative permet une
traçabilité complète des fromages.
Associée à la caravane, la coopérative
TourneRêve, qui ambitionne de
construire une filière artisanale
complète pour les céréales à
Genève, rappelle que l’agriculture
contractuelle de proximité est une
alternative urgente. « De plus en
plus, l’industrie aliénée à la grande
distribution nous fait perdre les
liens entre la terre, ceux qui la cultivent,
ceux qui façonnent les aliments
et ceux qui les mangent.
Chaque jour, 4 à 5 fermes disparaissent
en Suisse et les structures
locales de transformation sont
abandonnées. 80% de nos aliments
passent par l’industrie », souligne
l’association dans une prise de position
rendue publique le 17 avril.

Contre le sommet des affameurs
à Lausanne

La dérégulation du marché touche
le Nord, empêchant aussi les jeunes
agriculteurs de s’installer sur des
terres en Suisse, mais plus encore le
Sud. C’est ce veulent dénoncer la
Caravane et des associations comme
Attac à l’occasion du Sommet des
matières premières qui se déroule
du 15 au 17 avril à l’hôtel Beau-
Rivage Palace à Lausanne. Organisé
par le quotidien économique
anglais Financial Times, ce raout de
grands décideurs rassemble les plus
grandes sociétés de trading mondiales,
les investisseurs et les sociétés
actives dans l’exploitation ou le
négoce de matières premières, à
commencer par la production agricole.
A l’occasion de la manifestation
de protestation qui se déroule
le 15 avril à Lausanne, les opposants
refusent la spéculation financière
sur l’agriculture qui fait exploser les
prix tout en menaçant de famine
des peuples entiers. Ils critiqueront
aussi l’accaparement des terres
mené par des sociétés d’agrobusiness,
des investisseurs, des fonds de
pension, des Etats « qui se ruent sur
des terres qu’ils louent ou achètent
pour produire de la nourriture destinée
au marché mondial ou des
agrocarburants, ainsi que pour
développer des activités d’extraction
minière ou pétrolière ». Parmi leurs
exigences, celle de créer les bases
légales pour que les nombreuses
entreprises ayant leur siège en
Suisse respectent les droits humains
et l’environnement partout dans le
monde. On est encore loin du
compte du fait que la Suisse compte
surtout sur une autorégulation du
secteur (notre édition du 5 avril).

« Il faut se battre et lutter »

La bataille contre les multinationales
qui transforment le monde en
marchandise est-elle perdue d’avance ?
Rudi Berli se veut optimiste :
« Il faut se battre et lutter. La société
doit reprendre la main sur l’agriculture,
un secteur stratégique essentiel,
pour imposer des règles qui
bénéficient à la collectivité et pas
seulement à des intérêts privés »,
argumente le syndicaliste paysan.

Les consommateurs
doivent aussi se
mobiliser

Le 17 avril marquera la Journée internationale
des luttes paysannes en
Suisse et dans le monde. Des paysans
descendront dans la rue pour défendre
un accès aux terres, mais aussi pour
promouvoir une agriculture de proximité,
biologique et des filières de production
locale. La mobilisation servira
à dénoncer l’agrobusiness et ses tombereaux
de recettes industrielles, mais
aussi le poids excessif des grands distributeurs
dans le secteur.

Ce combat concerne aussi les consommateurs
qui, à l’occasion de la « lasagnegate
», ont pu avoir un aperçu de
l’opacité des circuits alimentaires et
compris que les grands groupes
avaient comme objectif unique de
faire du profit, en réduisant les coûts
comme cela se fait aussi en substituant
l’huile de palme – nocive à la
santé – à d’autres oléagineux plus
coûteux.

Tablant sur la publicité, ceux-ci continuent
pourtant à faire croire que leur
production est bon marché, sûre, saine
et nutritive. Ce qui est loin d’être le cas,
puisqu’en incluant les coûts sanitaires,
environnementaux et sociaux, elle
coûte plus cher que l’agriculture paysanne
de proximité. De plus, cette production
pollue à force de désherbants,
d’engrais ou d’antibiotiques et provoque
l’obésité. Forts de ces informations,
les consommateurs doivent dès
lors agir et choisir.

Pour le 17 avril, la Fédération romande
de l’agriculture contractuelle de proximité
a fait un rêve : celui de créer 150
structures contractuelles au lieu de la
quinzaine qui existe à Genève, soit des
formes de commerce direct entre producteurs
et acheteurs, qui permettent
tout à la fois d’assurer aux consommateurs
des aliments de qualité et de saison
à un prix abordable et un revenu
équitable aux paysans. Y adhérer est
un premier pas pour se réapproprier
notre assiette et faire pression sur la
grande distribution pour qu’elle favorise
des produits locaux et des importations
socialement et écologiquement
responsables.