Récits du fond des geôles

LITTÉRATURE • Pour « La Charrette de l'infamie », l'écrivain Houssam Khadour a été inspiré par sa longue détention dans les prisons syriennes.

Pour « La Charrette de l’infamie », l’écrivain Houssam Khadour a
été inspiré par sa longue détention dans les prisons syriennes.

De cette Syrie qui vit aujourd’hui
une effroyable tragédie,
l’éditeur Bernard Campiche
nous fait connaître un écrivain. La
vie de Houssam Khadour n’a pas été
banale. Né à Lattaquié en 1952, il a
obtenu à Moscou un diplôme en
Sciences sociales et politiques.
Arrêté, il est condamné à mort en
1987 (donc à l’époque de Hafez el-
Assad) pour « obstruction à l’application
de la législation socialiste ».
Pendant sept ans, il attend chaque
jour sa pendaison. Grâcié en 1995,
il restera cependant en prison jusqu’en
2001. Il vit aujourd’hui à
Damas, où il est écrivain, traducteur
de l’anglais à l’arabe et éditeur.

Le recueil La Charrette d’infamie
est constitué de dix-huit récits évoquant
tous, mais de manière distanciée,
les longues années passées par
l’auteur à la prison de Damas. Ce
n’est pas un témoignage brut,
comme l’a été par exemple La Pacification
pour la torture et les crimes
de l’armée française en Algérie. Ce
n’est pas non plus un pamphlet politique :
« Ce récit n’est pas une tribune
pour tenir des discours contre l’arbitraire
du pouvoir. » C’est un véritable
travail d’écrivain, à la langue
précise et usant d’un arabe classique,
pour autant qu’on puisse en
juger par la traduction. C’est enfin
une réflexion sur la prison en général
et de tous les temps, incluant
aussi bien les prisonniers de droit
commun que les « politiques ». Ces
textes sont parfois insoutenables.
Ainsi l’évocation froide des différentes
tortures pratiquées, ou
encore le récit minutieux de l’exécution
par pendaison, avec ses rites
sinistres, du jeune Khaled. Houssam
Khadour recourt parfois à l’humour
noir. La Syrie utilisait à
l’époque le bon vieux procédé de la
pendaison traditionnelle (le tabouret
que l’on retire sous les pieds du
condamné et la mort par strangulation),
par rapport à la pendaison « à
l’anglaise » (la trappe qui s’ouvre, le
corps qui tombe, les vertèbres cervicales
brisées, une mort que l’on dit
rapide et quasi indolore…) Et l’auteur
d’écrire : « Il faut croire qu’il
n’existe pas [de potence] en Occident,
que nous pourrions importer
pour notre consommation locale. »
Pire peut-être que la mort, la dégradation
que les autorités pénitentiaires
obtiennent d’un détenu,
comme ce Salah Al-Atiq réduit à
l’état de bête, et contraint par la torture
à « parler » par aboiements. Sans
doute une certaine fraternité
humaine existe-t-elle en prison,
mais aussi la violence entre détenus,
souvent encouragée par les gardiens.
La mère de Saad a appelé un
médecin pour soigner les phobies et
les crises de convulsions de son fils
récemment libéré. Or le praticien,
avec aveuglement, se montre incapable
de comprendre qu’elles sont
dues aux sodomisations forcées que
celui-ci a endurées en détention.
Khadour use parfois de la litote. Un
avocat incarcéré pour d’injustes raisons
ose accuser, dans une lettre de
protestation, les services de renseignement ;
une semaine plus tard il
est libéré, « mais il ne rentra pas
chez lui. » Le Pouvoir – celui de
l’Etat et celui de la prison – apparaît
comme une instance impersonnelle,
qui fait songer aux responsables de
La colonie pénitentiaire de Kafka.
Dans l’attente d’une hypothétique
Amnistie générale (titre du dernier
récit), que reste-t-il aux détenus de
la prison, ce concentré de violence,
d’inhumanité et d’ennui, sinon la
parole, parfois logorrhéique ? D’où
l’affrontement verbal entre le cheikh
islamiste et le professeur laïque, qui
reproduit dans l’enfermement les
débats qui agitent la société civile.

Sans doute ces textes, au ton
grave mais jamais désespéré, s’inscrivent-
ils dans la réalité syrienne
des années 1990. Mais, comme
l’écrit la traductrice, ils « parlent,
dans une certaine mesure, de toutes
les prisons du monde ».


Houssam Khadour, La Charrette d’infamie,
Bernard Campiche Editeur, Orbe
2013, 198 p., 32 frs.