Grandeur et misère du congé parental

Lors d’un week-end récent, j’ai participé aux Journées de l’Autobiographie [1] à Aix-en-Provence sur le thème « Masculin / Féminin ». Les organisateurs avaient convié plusieurs personnalités à traiter le sujet, dont Jean-Paul Ricoeur (psychanalyste), Claudine Vassas (ethnologue), Georges Vigarello (historien), Anne-Claire Rebreyend (historienne), Denis Chevallier (commissaire de l’exposition « Au bazar des genres »...

Lors d’un week-end récent, j’ai participé aux Journées de l’Autobiographie [1] à Aix-en-Provence
sur le thème « Masculin / Féminin ». Les organisateurs avaient convié plusieurs personnalités
à traiter le sujet, dont Jean-Paul Ricoeur (psychanalyste), Claudine Vassas (ethnologue),
Georges Vigarello (historien), Anne-Claire Rebreyend (historienne), Denis Chevallier
(commissaire de l’exposition « Au bazar des genres » au Mucem – Musée des civilisations
Europe Méditerranée, Marseille).

Journées passionnantes. Il fut notamment question des horreurs concernant la situation
des femmes au cours des siècles et dans différentes civilisations : la ceinture de chasteté,
les mariages arrangés, la virginité protégée, les tabous, les « Catherinette » qui portaient
un chapeau extravagant pour leurs 25 ans, signalant qu’elles n’étaient pas encore mariées,
les guerres, l’insatisfaction sexuelle, les clitoridiennes opposées aux vaginales, l’absence
de contraception, la pénalisation de l’avortement jusqu’à la loi Simone Veil du 17 janvier
1975 en France (en 2002 en Suisse), etc. J’ai appris qu’en Albanie, on donne un statut masculin
à des jeunes filles qui, dans certaines circonstances, doivent remplacer un garçon, ce
sont les « vierges jurées », qui devront le rester jusqu’à leur mort…

Mais une question soulevée m’a consternée. Dans l’article « Qui va garder les enfants ? »
paru dans Sciences humaines du 16.06.11, Xavier Molénat nous explique que depuis une
dizaine d’années, l’évolution des mentalités concernant la place de l’homme et de la
femme au sein de la cellule familiale semble évoluer. Alors qu’en 2000, 47% des Française-
s estimaient que, s’il fallait qu’un des deux parents s’arrête de travailler pour s’occuper
des enfants, c’était la mère qui devait le faire, ils n’étaient plus que 37% à en être
convaincu-e-s en 2006. Mais 95% des bénéficiaires des allocations pour congé parental
vont encore aux mères. De plus en plus de femmes s’arrêtent de travailler à la naissance
du deuxième enfant, bénéficiant d’allocations « généreuses ». Cela concerne davantage les
femmes peu diplômées, aux faibles revenus, celles pour qui le retrait de la vie active représentera
un coût moindre. En effet, seuls 10% des petits Français sont accueillis dans des
structures collectives entre 0 et 3 ans. La garde par une assistante maternelle représente
donc un coût élevé pour les familles aux revenus modestes. Or ce retrait de la vie active a
des conséquences sur la vie de ces femmes, qui se retrouvent parfois dans des situations
précaires, ce qui représente un coût caché pour la société. La mise en place d’un système
de prise en charge de la petite enfance et d’un congé parental long est bénéfique. Pour les
enfants : la garde collective systématique permet de favoriser l’égalité des chances en minimisant
l’impact du capital culturel. Il y aurait moins d’inégalités entre femmes et hommes ;
la société serait mieux équilibrée ; enfin, une politique à long terme permet d’économiser
sur d’autres plans, comme les frais de réinsertion professionnelle des femmes ou l’aide
sociale.

Rappelons qu’en Suisse comme en France, les femmes assument 80% des tâches ménagères
et éducatives, représentent 80 % des salariés à temps partiel, 61% des salarié-e-s
peu qualifiés et 78% des employé-e-s non qualifié-e-s et 70% des travailleurs pauvres. [2]

Je pensais donc naïvement que le congé parental des pays nordiques représentait une
avancée importante pour les femmes. En effet, le congé parental y est rémunéré à 80%
pendant 480 jours (environ 69 semaines, soit presque une année et demie). Sur ces 480
jours, 60 sont réservés à la mère, 60 au père, et les 360 autres sont librement partageables.
Les 60 jours réservés au père sont perdus s’il ne prend pas congé. 2 mois qui permettent à
la mère de souffler. (A titre de comparaison, l’assurance-maternité suisse, introduite en
2005, alors qu’elle était inscrite dans la Constitution fédérale depuis 1945, est de 14
semaines.)

A ma grande stupéfaction, j’ai appris que les hommes nordiques profitaient de leur congé
parental… pour suivre une formation ! Ainsi, non seulement, ils n’assument pas leur part
des tâches ménagères et éducatives, comme le veut la loi, mais en suivant des cours de
formation continue, ils creusent encore un peu plus les inégalités de certification, promotion
et salaire entre eux et leurs épouses.
Nous voici donc retournées à la case départ. Masculin / féminin : l’éternelle différence…


[1] En 2012, elles furent organisées à Genève dans le cadre des commémorations du tricentenaire
de la naissance de Jean-Jacques Rousseau organisées par la Ville. Site de l’Association
pour l’autobiographie et le Patrimoine Autobiographique : www.sitapa.org

[2] Sources : Françoise Milewski, « La précarité des femmes sur le marché du travail », Lettre
de l’OFCE
n° 263, Juin 2005 et INSEE ; Sophie Ponthieux, « Les travailleurs pauvres : exploration
d’une approche alternative en termes de “pauvreté économique” », Journées de l’AES,
septembre 2009.