La fiction rejoint la réalité de l’affrontement

CINÉMA • Librement adapté du best-seller « L'Attentat » signé Yasmina Khadra, le thriller et drame psychologique du cinéaste libanais Ziad Doueiri projette les conflits israélo-arabe et palestinien en terre intime.

Librement adapté du best-seller « L’Attentat » signé Yasmina Khadra, le thriller et drame psychologique du cinéaste libanais Ziad
Doueiri projette les conflits israélo-arabe et palestinien en terre intime.

Le docteur Amin Jaafari (Ali Suliman qui
excellait déjà dans Paradise Now, une vie sous
occupation et un destin de martyr) est Arabe
Israélien et se croit parfaitement intégré à la société
de Tel-Aviv. Mais après un attentat dans un restaurant
de la capitale, qui fait 19 victimes et dont
Amin opère les blessés, la police israélienne l’informe
que sa femme était la kamikaze. Bouleversé
par la révélation de son action mortifère, dans une
lettre posthume de la main de son épouse, Sihem
(lumineuse et tourmentée Reymonde Amsellem,
la figure étendard du nouveau cinéma israélien), il
voit sa carrière compromise. Désireux de comprendre
les motivations de celle qu’il croyait trop
bien connaître, et dont l’image terminale est celle
du visage en morgue et d’un corps presque entièrement
absent, le médecin se rend dans les Territoires
palestiniens pour rechercher une certaine
vérité.

Co-écrit par Ziad Doueiri (West Beyrouth) et
son épouse Joëlle Touma, le scénario est aussi le
fruit d’une recherche documentaire sur les femmes
kamikazes et le culte des martyr(e)s. L’Attentat,
dont l’histoire se situe en 2002, se confronte à une
succession interminable de violences infligées et
subies, en évitant souvent les images connues voire
convenues, pour en concentrer l’interrogation
autour d’un couple, dont le rôle est à la fois fondamental
et ambigu dans le démantèlement des murs
de séparation et d’incompréhension entre communautés.
Se dessine en creux la difficile relation
politique qu’Israël établit avec l’autre au sein de sa
propre société. L’opus fait retour à l’essence de toute
tragédie grecque, la rencontre entre les lois et obligations
de la Cité, si ce n’est du sang ou du sol, les
réalités d’une terre divisée, et l’intime de toute vie.

Dans le film, est évoqué à la radio le cas de
Wafa Idriss, première femme kamikaze araboisraélienne
à se faire exploser en 2002 dans un
attentat suicide. Il contraste avec celui de Sihem
Jaafari, issue « d’un milieu libéral et mariée à un
chirurgien renommé ». Dans le livre, on entend :
« Les hommes ont inventé la guerre, la femme a
inventé la résistance. » Le réalisateur précise : « Si
dans un roman on peut imaginer un personnage,
le film exige de le voir et de donner certains éléments
de réponse afin d’expliciter le pourquoi de
son acte, dans le cas de Sihem. Ainsi avons-nous
fait des recherches afin de dévoiler ce qui passe
dans la tête de femmes qui commettent des attentats
suicides. Outre l’occupation israélienne, ces
femmes témoignent du fait qu’elles n’étaient pas
capables d’enfanter, ou un membre de la famille,
frère ou père, a collaboré avec les Israéliens. Et la
femme kamikaze a senti qu’elle était investie d’une
nécessité supérieure de rédemption, de nettoyer
l’honneur de la famille, en se montrant patriote,
optant pour le sacrifice ultime. » Ayant participé à
un détournement d’avion en 1970 et actuel
membre du Conseil national palestinien, Leilla
Khaled résume bien, ailleurs, une part de l’ambiguïté
des Shahidas, les kamikazes palestiniennes :
« Dans notre culture, je préférerais voir une femme
vivre à égalité que mourir à l’égal de l’homme. »

Contrairement au roman, le film n’évoque pas
les terribles représailles auxquelles se livre l’armée
israélienne sur la maison d’un proche de Siham
détruite par un bulldozer. Et le désespoir qui mène
aux pires extrêmes doit se lire dans les fugaces vues
du mur de séparation, les violences au barrage. Jusqu’à
cette scène dans les décombres de Jénine où
Amin contemple le poster de sa femme rejoignant
le martyrologue, alors même qu’elle refuse d’enregistrer
tout message vidéo expliquant son acte.
Considéré comme un « sanctuaire de kamikazes »
par le gouvernement israélien, le camp de réfugiés
de Jénine est bombardé et partiellemnt détruit par
Tsahal lors de son offensive d’avril 2002 (500 victimes,
selon un bilan controversé) qui fait suite à
une quarantaine d’attaques suicides s’étant déroulés
depuis début mars de la même année et ayant
fait 120 morts. Si plusieurs ONG parlent de
« crimes de guerre » dans le cas du « massacre de
Jénine », cet événement serait l’un des déclencheurs
de l’acte de Siham.

Le chirurgien est accompagné par une collègue
de l’hôpital où il travaille, Kim, interprétée par la
bergmanienne et impressionnante actrice israélienne
d’origine russe, Evgenia Dodina. Durant
une grande part de l’intrigue, elle montre empathie
et écoute à l’égard du veuf désemparé. Néanmoins,
lorsqu’Amin refuse de collaborer avec la police
israélienne afin de ne pas s’impliquer davantage
dans l’engrenage des violences, elle se raidit dans la
condamnation. Cette femme est sans doute persuadée
comme la majorité de sa société que les
Palestiniens veulent la fin de l’Etat d’Israël, alors
même que le pays est doté de l’une des plus puissantes
armées au monde et n’est confronté qu’à des
pierres, des combattants en majorité faiblement
armés et de dramatiques bombes humaines.

De la bouche d’un prêtre (Ramzi Makdessi)
dans Naplouse assiégée par Tsahal, dont le visage
est filmé comme surgissant de l’ombre tel l’icône
Marlon Brando dans Apocalypse Now, se révèle un
réel insoutenable, lors d’un huis clos avec le médecin :
« Notre pays est violé nuit et jour, nos villes
sont enterrées par les tanks, nos enfants ne peuvent
se rappeler ce que signifie l’école. » Le cinéaste
explique : « Ayant vécu longtemps au Moyen-
Orient, Joëlle Touma et moi avons toujours
entendu le même discours du Bien contre le Mal,
l’Occupant opposé à l’Occupé, l’injustice faite au
peuple palestinien, que personne ne nie. Mais le
roman va au-delà des considérations entendues,
montrant que l’histoire est plus complexe. »