Modigliani et l’Ecole de Paris à Martigny

EXPOSITION • A côté des oeuvres sculpturales et picturales de l'artiste italien, la Fondation Gianadda présente un florilège de l'Ecole de Paris dont éclate l'extraordinaire diversité de peintres de plusieurs pays.

A côté des oeuvres sculpturales et picturales de l’artiste italien, la Fondation Gianadda présente un florilège de l’Ecole de Paris
dont éclate l’extraordinaire diversité de peintres de plusieurs pays.

L’Ecole de Paris n’a jamais
existé ! Le terme d’« école »
implique une thématique, des
techniques ou une sensibilité esthétique
et stylistique communes. Il
n’est pas pertinent pour désigner ce
qui fut, à la veille de la Première
Guerre mondiale, un extraordinaire
rassemblement de peintres et sculpteurs
dans la Ville Lumière, alors
capitale des arts. Des Français certes
– André Derain, Raoul Dufy,
Suzanne Valadon et bien d’autres –
mais aussi nombre d’immigrés
comme les Espagnols Pablo Picasso
et Juan Gris, et beaucoup de Juifs
fuyant l’antisémitisme et les
pogroms de l’Empire des tsars :
Marc Chagall, Chaïm Soutine,
Moïse Kisling, Jacques Lipchitz…
Amedeo Modigliani (1884-1920) est
issu, lui, de l’importante communauté
israélite de Livourne. Ces
artistes désargentés partagent souvent
le même atelier, à Montmartre
puis à Montparnasse, fréquentent
les mêmes bistrots, créent des
réseaux d’amitié, tâtent parfois
ensemble des divers paradis artificiels.
Beaucoup d’entre eux seront
présents aux obsèques de Modigliani
trop tôt disparu.

Le premier mérite de cette exposition,
dont les oeuvres proviennent
à la fois du Centre Pompidou et des
collections suisses, est de montrer la
très grande diversité au sein de cette
communauté d’artistes. Certains,
comme Juan Gris, s’inscrivent résolument
dans la tendance cubiste.
D’autres, comme Suzanne Valadon,
dans une veine ultra-réaliste qui
semble annoncer la Nouvelle Objectivité :
ainsi, La Famille Utter pose
dans une attitude hiératique,
comme devant un photographe de
l’époque. Entre deux crises d’éthylisme,
son fils Maurice Utrillo peint
les quartiers de cette ville de Paris
qu’il connaît si intimement. Quant
au futuriste Gino Severini, dans son
Portrait de Paul Fort, il emprunte au
poète Apollinaire l’art des « collages
». Plus tragiques, les toiles aux
rouges sanglants de Chaïm Soutine
traduisent une sensibilité expressionniste :
ses portraits de déséquilibrés
mentaux ou de simples d’esprit
révèlent une grande pitié devant la
misère humaine. Mais bien d’autres
artistes de l’« Ecole de Paris » (sur
laquelle le visiteur peut voir une
éclairante vidéo intitulée Le temps
des cerises
) sont représentés à Martigny.
Une place importante est faite
aux sculptures très pures, synthétiques,
d’Henri Laurens, Jacques
Lipchitz, et surtout à celles du
grand artiste roumain Constantin
Brancusi. C’est lui qui, dès 1909,
initia Modigliani à la taille de la
pierre.

Modigliani est au centre
de l’exposition

On ignore souvent que l’artiste italien
s’est d’abord adonné à la sculpture.
Ce sera sans doute une découverte
pour une partie du public.
Taillées dans la belle pierre d’Euville,
ses têtes humaines réduites à l’essentiel,
aux yeux démesurés et au nez
très effilé, ont été profondément inspirées
par l’art grec archaïque des
Cyclades, les masques africains ou
encore les visages de bouddhas
khmers.

Mais Modigliani est beaucoup
plus connu pour ses peintures. La
Fondation Gianadda présente vingtdeux
toiles, dont plusieurs d’une
qualité exceptionnelle. On comprend
le lien profond qui unit l’artiste
à la grande tradition de la peinture
italienne, celle gothique de
Simone Martini, et surtout celle de
la Renaissance avec Sandro Botticelli.
Il emprunte à ce dernier le trait
marqué qui entoure les formes, la
grâce et les cous démesurés qui font
qu’on reconnaît immédiatement « un
Modigliani ». Tout comme l’ovale
bleu des yeux sans iris de ses personnages.
Ceux-ci sont souvent des
gens du peuple, autre aspect novateur
de sa peinture. Quant à son
remarquable Nu couché de 1919, il
se réfère, lui, aux poses alanguies
des Vénus du Titien. Un tableau est
particulièrement émouvant : Maternité,
peint quelques semaines avant
la mort de Modigliani, représente sa
jeune compagne Jeanne Hébuterne
enceinte, portant dans ses bras leur
petite fille, telle une Pietà. Or Jeanne
se suicidera au lendemain de la disparition
de l’artiste, en se jetant du
cinquième étage de l’appartement de
ses parents. Il y a une face tragique
dans la vie et l’oeuvre d’Amedeo
Modigliani.

Cette riche exposition est complétée
par une série de photographies
d’artistes réalisées par Henri
Cartier-Bresson. Ce dernier a su
entrer avec eux en échange, en communion,
et ses photos qui affectionnent
le clair-obscur saisissent
« l’âme » de Pablo Picasso, Alberto
Giacometti, Pierre Bonnard et
d’autres. Un lien particulièrement
fort semble s’être tissé avec Henri
Matisse, que l’on voit tenant dans
une main, et dessinant de l’autre, sa
fameuse colombe.

Malgré les très grandes différences
qui séparent les nombreux
artistes figurant dans l’exposition,
c’est toute une époque de création et
d’amitié qui est dignement représentée
à Martigny.


« Modigliani et l’Ecole de Paris », Fondation
Gianadda, Martigny, jusqu’au 24
novembre.


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Amedeo Modigliani, « Maternité » (1919).