Le cri de révolte de Raymond Durous

LIVRE • Dans son dernier ouvrage, le Lausannois fait l'inventaire des multiples atteintes aux droits de l'enfant en Suisse et dans le monde.

Dans son dernier ouvrage, le Lausannois fait l’inventaire des multiples
atteintes aux droits de l’enfant en Suisse et dans le monde.

Depuis des décennies, Raymond Durous est habité par
un vigoureux engagement de gauche. Contre toutes
les injustices, et d’abord celles qui affectent les
enfants. Pédagogue puis écrivain, il s’est attaché à cette
cause, comme à celles de l’antiracisme et de la lutte contre
toutes les discriminations.

Nus parmi les chacals, qui a pour sous-titre Enfance opprimée,
constitue une sorte de catalogue de tous les maux qui
accablent d’innocentes victimes. L’auteur en dresse lui-même la
liste : « racisme, déracinement, pauvreté, maltraitance, exploitation
par le travail, guerre, génocide, pollution industrielle,
maladie, malnutrition et sous-nutrition. » A quoi l’on pourrait
ajouter l’esclavage sexuel. Le seul reproche (amical) que l’on
puisse faire à Durous est « qui trop embrasse mal étreint ». A
vouloir traiter de toutes ces violations des droits de l’enfant, l’auteur
se condamne à une certaine superficialité et à une
approche qui n’est pas toujours très personnelle. Ce livre, néanmoins,
est utile et il interpelle. Quelques chiffres d’abord : selon
Caritas, 260’000 enfants en Suisse vivent dans des familles
pauvres ; 200 millions d’enfants dans le monde sont condamnés
à travailler, alors que ce travail est théoriquement interdit par la
Convention de l’ONU de 1989 ; il y a 300’000 enfants soldats,
tandis que la violence des guerres en tue 200’000 chaque année ;
200’000 enfants ont été exterminés à Auschwitz, etc.

A travers des cas judicieusement choisis, Raymond Durous
permet aux lecteurs de ressentir cette misère et cette exploitation.
Ce sont par exemple ces enfants de l’Inde « inhalant à longueur
de journée des fumées toxiques, sous une lumière blafarde
[qui] soudent sans protection aucune des bracelets de
verre. » Ou encore l’évocation d’enfants des favelas de Rio de
Janeiro, « dont on voyait les corps étendus dans les rues le
matin, criblés de balles et brûlés à la cigarette », par des groupes
paramilitaires d’escadrons de la mort. L’auteur a aussi eu la
bonne idée de rappeler un certain nombre de titres de livres,
films ou chansons évoquant le sort tragique des enfants maltraités,
des Misérables de Victor Hugo à la Chanson des enfants
d’Aubervilliers
par Jacques Prévert, en passant par Los Olvidados
de Luis Buñuel. Ce livre ne se veut cependant pas misérabiliste.
Il constitue aussi un appel à la résistance et à l’action,
ainsi qu’un hommage aux personnalités qui n’ont cessé de lutter
contre les innombrables atteintes à la dignité de l’enfant.

C’est lorsqu’il touche à son passé familial, en particulier à la
destinée à la fois terrible et noble de son père (auquel il a consacré
en 2005 son meilleur opus, Victor le conquérant), que Raymond
Durous se montre le plus convaincant. L’histoire de cette
« enfance volée et saccagée » de jeune valet de ferme corvéable
à merci est exemplaire de certaines pratiques dans les campagnes
suisses de l’entre-deux-guerres. Un père qui eut le courage
de se rebeller et qui a offert à son fils un modèle d’homme
libre.

Comme l’a fort bien écrit dans sa Postface le Dr Jean Martin,
ancien médecin cantonal vaudois, aujourd’hui très engagé
dans les questions éthiques et la lutte contre le racisme, Raymond
Durous « est aussi un frère ou un fils des « Grands Indignés
» tels que notre compatriote Edmond Kaiser, fondateur de
Terre des Hommes, l’agronome René Dumont, ou le résistant
puis diplomate Stéphane Hessel ».


Raymond Durous, Nus parmi les chacals. Enfance opprimée, éd. de L’Aire
2013, 201 p., 33 frs.