A la recherche de Wanda, une femme à la dérive

THÉÂTRE • Admirée par Isabelle Huppert et Marguerite Duras, l’actrice et cinéaste Barbara Loden est mise en abyme dans « Vers Wanda ». Un jeu d’échos et de résonances entre la vie et le cinéma enrichi de commentaires et exégèses délivrés par un inspiré trio de comédiens.

Admirée par Isabelle Huppert et Marguerite Duras, l’actrice et cinéaste Barbara Loden est mise en abyme dans « Vers Wanda ». Un jeu d’échos et de résonances entre la vie et le cinéma enrichi de commentaires et exégèses délivrés par un inspiré trio de comédiens.

Dans le cube scénique peint en noir, quelques indices pour se mettre en marche vers une femme qui fit de son cinéma une incroyable caisse de résonnance à son être le plus intime et mystérieux. Que voit-on ? Un tas de charbon symbolisant la mine de Pennsylvanie montrée dans le film de Barbara Loden, Wanda (1970), inspiré notamment d’un fait divers où une femme est condamnée par la justice pour avoir participé au hold-up d’une banque, et remercie le juge pour sa sentence. Loden y joue la femme d’un mineur abandonnant ses responsabilités de mère. En bigoudis, elle se laisse divorcer au tribunal par son mari – un épisode reproduit à la fin de la pièce –, avant de dériver sans domicile ni moyens de subsistance, dans une errance somnambulique qui rencontrera un truand minable, Monsieur Denis, dévalisant un bar. Passivement, Wanda se laisse entraîner par lui dans sa cavale. Loden opte pour la frontalité et délie une réflexion sur le métier d’actrice mise en parallèle avec sa propre vie. Un jeu de miroirs que développe à la scène, Vers Wanda.

Il y aussi un bar en chantier s’affaire, vêtue d’un bleu de travail, la comédienne Marie Rémond. En bricoleuse, elle est le reflet de ce que le mari de Barbara Loden, Elia Kazan, disait de l’actrice, une femme toujours à entreprendre des travaux à la maison. La radio, elle, distille le She Belongs to Me signé Bob Dylan évoquant, au cœur de sa période Protest Song, le destin d’une femme pouvant extraire l’obscurité couleur nuit pour en repeindre le jour en retour et que « la loi ne peut toucher ». Plus loin, Marie Rémond arbore chemisier fleuri et pantalon, réminiscences de Marilyn Monroe — dont, en 1964, Loden, ancienne pin-up, incarne le double à la scène dans Après la chute de Arthur Miller.

Comme dans le film Wanda, chez Cassevetes (Une Femme sous influence) ou reflet de ce qui joue au cœur du couple forain de La Strada (1954) signé Fellini, il y a dans la pièce un refus de réduire l’ « être femme » à ses rôles et apparences. Wanda a surgi d’une femme qui ne voulait plus être l’actrice des seconds rôles et la maîtresse de maison, à en croire ce que dévoile en creux cette création théâtrale. La dramaturge et comédienne Marie Rémond explique : « Dans son entretien sur le film, Isabelle Huppert évoque cette mise en rapport cocasse entre le tandem Kazan-Loden et le duo fictif du film. Je me suis plongée dans l’autobiographie du cinéaste, Une Vie, sa vision des choses et son récit qui sont déconcertants. Et dans le même temps touchants, parce qu’a certains moments, il semble tout dire. De Barbara Loden, il ne subsiste que des petits cahiers qui n’ont pas été retrouvés. Du coup, il a paru intéressant de décentrer le personnage de l’Américaine par un Kazan qui sert aussi de fil conducteur à travers les récits de Loden. Qu’elle s’y fraie un chemin. Le moment choisi est celui de la gestation du film L’Arrangement, d’après le roman éponyme signé Kazan. Alors qu’elle a déjà travaillé avec lui pour deux rôles (Le Fleuve sauvage et La Fièvre dans le sang), Loden n’est pas retenue pour le rôle titre, lequel échoit à Faye Dunaway auréolée par le succès de Bonnie and Clyde. De ne pas faire L’Arrangement lui a donné la force d’entreprendre le tournage de Wanda. » Sur scène, la comédienne relaye dans ses habits le refus de Loden de réduire l’ « être femme » à ses rôles et apparences.

Huppert, Duras, Kazan et Loden

Vers Wanda est la nouvelle création signée Marie Rémond et son collectif d’acteurs, Clément Bresson et Sébastien Pouderoux, déjà présents sur André, pièce hypothèse et enquête en sensations et états de corps à tennis autour de l’intime d’André Agassi. Outre qu’elle ouvre un questionnement sur la présence au monde, Vers Wanda déploie son sens du jeu tour à tour à tour en creux et corporellement expressionniste. Empruntant à de nombreux registres proches du collectif flamand tg Stan qui, entre construction et déconstruction, tient à distance l’incarnation d’un personnage sans en abolir la notion, la pertinence et la réussite de l’opus tiennent au circuit extrêmement précis que la pièce établit entre toutes ces sources réactivées : scènes du film Wanda refigurées et décalées, commentaires vivants et frontaux autour du film (Isabelle Huppert, Marguerite Duras, le critique Philippe Azoury des Cahiers du cinéma), stand up burlesque façon Groucho Marx énervé, rencontre entre Elia Kazan, Barbara Loden et Kirk Douglas autour du projet du film L’Arrangement de Kazan, qui ne retiendra donc pas sa compagne au casting et suscitera son ire. Mais aussi scènes conjugales entre l’actrice et son cinéaste. L’interprétation convoque alors le geste psychologique, le jeu mêlant émotions et affects dans la filiation Stanislavski-Strasberg de l’Actors Studio. Elles ne sont jamais déposées là par hasard ou décoratives. Chaque acte des personnages est ainsi souvent reversé du côté de la mise en scène. Il est saisi comme une hypothèse figurative, critique, commentée, voire rejoué en boucle.

« Vers Wanda ». Photo du spectacle : Mario Del Curto

Isabelle Huppert, elle, déclare : « Je ne crois pas que l’art du comédien consiste à sortir de soi-même, c’est plutôt le contraire : y entrer le plus profondément possible. Ce qui me semble important pour un acteur, c’est la passivité ». A l’image de Barbara Loden, l’actrice française est habitée d’une mise en jeu où l’être semble s’absenter. Elle privilégie une désertification intime moins fermée aux émotions qu’inexpugnable. C’est peu dire que les paroles de la star (qui a permis en 2003 une nouvelle sortie public du film), jusque dans leurs hésitations et repentirs, sont relayées à la scène par les comédiens ou distillées en voix off. Ainsi, entend-on sur Loden dans le rôle de Wanda : « C’est un personnage comme un lac enfin, on on une chose d’opacité heu sombre, et calme c’est et le le film raconte l’itinérance, l’errance de ce personnage, l’itinérance c’est pas le bon mot parce que elle heu elle ne sait pas je crois ni ou elle est ni ou elle va mais heu le film suit le le la dérive… ».

La cinéaste et écrivaine de l’attente, qui exhausse et effondre l’être tout à la fois, Marguerite Duras relève : « Je considère qu’il y a un miracle dans Wanda. D’habitude il y a une distance entre la représentation et le texte, et le sujet et l’action. Ici cette distance est complètement annulée, il y a une coïncidence immédiate et définitive entre Barbara Loden et Wanda. » Duras a détaillé la scène finale découvrant Loden/Wanda glissant lentement dans une solitude iconique au sein de la foule bruyante d’une soirée alcoolisée, assise, alors que l’image se fige : « C’est comme si elle atteignait dans le film une sorte de sacralisation de ce qu’elle veut monter comme une sorte de déchéance et que, moi, je trouve une gloire très forte, très violente, très profonde. »

Hors la vie

Il y a une tristesse et une mélancolie davantage prégnantes dans le film Wanda, dont la pièce recueille, met en scène, fait dialoguer avec des voix hors champ ou commente des fragments clés, dont la rencontre des deux êtres à la dérive lors du vol d’un bar. Le personnage féminin est comme un poids inerte, condamné ou se condamnant à une forme d’inexistence sociale ou de survie précaire. La fragilité butée qui n’exclut nulle résistance, la discrétion, la naïveté de Wanda éloignent le propos, hier filmique, aujourd’hui scénique de toute tentation didactique.

La dimension documentaire se heurte à une énigme dénuée d’explication psychologique, l’impression d’un lien ténu à la vie, comme en témoigne la relation précaire, incertaine qui lie les deux protagonistes également largués du film. Par petites touches incisives, Barbara Loden installe une atmosphère flottante quasi surréelle. Son film à conjugue regard d’entomologiste et approche empathique pour ce personnage de femme perdue, qui résiste bien plus que ne le laisserait croire son apparente passivité. La réalisation est aussi une fine étude des mœurs de la fin des années 60 et du début des années 70 aux Etats-Unis. Soit une réalité sociologique : la mise en crise de la cellule familiale et la vertigineuse augmentation des divorces. Un fait de société qui va influencer une génération entière, symbole d’une société en pleine crise morale et identitaire.

Dans le sillage de la romancière Nathalie Léger pour le récit, Supplément à la vie de Barbara Loden, Marie Rémond souligne que : « Ce que nous avons voulu gardé de Loden, c’est un entrechoquement entre des matières différentes, le film, le personnage de Wanda qu’incarne Loden et la vie de l’actrice cinéaste. Préserver aussi l’idée d’être à la fois dedans et dehors, comme Nathalie Léger l’est parfois au fil de son récit. Ainsi replonge-t-elle dans le film avant de nous raconter sa propre histoire ou de convoquer Sylvia Plath et Marguerite Duras. Avec l’aide aussi des commentaires autour du film, pourquoi ne pas voyager sur les sensibilités de ce que les spectateurs ont pu y voir ou projeter d’eux-mêmes ? »

Faisant par instants songer au travail du cinéaste Aki Kaurismaki évoquant avec finesse, et non sans burlesque, le désarroi d’êtres face au monde contemporain (La Fille aux allumettes, Les Lumières du faubourg), Wanda est un film bricolé avec « un petit budget et de nombreuses scènes coupées au montage pour des problèmes de prises de son », précise Marie Rémond. On y retrouve quelque chose de l’impressionnisme, mais dans une réalité sociale très concrète, dépoétisée, comme la présente Fassbinder dans sa réalisation, Le Bouc (1969). On est sidéré devant les audaces de cadres, l’absence de concession sur les rythmes. Mais aussi face à l’humour dont la signature gestuelle peut évoquer, dans le personnage du voleur, Monsieur Denis, un pionnier du cinéma burlesque muet, W.C. Fields aux allures de clown névropathe et caricatural flirtant allié au jeu corporel spasmodique d’un Elie Semoun, comme le transmet Clément Bresson sur le plateau de La Passerelle de Vidy.

Wanda reste une réalisation filmique majeure néanmoins sur la déshumanisation d’une société, qui transmet une émotion trouble ou plutôt un sentiment de vacuité. L’absence de sentimentalisme y fait partie intégrante du système même de description de la solitude.

Une construction savante

Tout en veillant à la cohérence du propos pour l’ensemble de la proposition scénique, la création procède par stations en reformulant certaines situations du film Wanda. Ainsi un extrait de la scène vaguement complice au soleil couchant qui voit la veste masculine échouer sur les épaules de la jeune femme, la préparation du braquage répétée au bain figuré par un divan retourné, la commande nocturne de nourriture suivant une cohabitation impossible et burlesque dans un lit divan par trop exigu…

Ce mash-up ou montage de scènes dérivées très librement du long métrage Wanda a l’avantage de ne pas privilégier la narration et la clarté discursive au détriment des affinités que le théâtre peut avoir avec les romans non discursifs ou la poésie combinatoire, en octroyant autant que possible une place à l’opacité de la vie. Les comédiens guettent le jeu l’un de l’autre, même quand ils n’ont pas à exercer rôle ou commentaire. Cela suscite une circulation très intense d’énergie que souligne une dramaturgie de l’empêchement chère au burlesque. Paroles et corps doivent souvent se ménager un chemin dans les plis de brouillages et d’accidents. Là, une scie électrique étouffe le commentaire ou le dialogue. Ailleurs, le monticule charbonneux fait de la démarche de Wanda-Rémond une bataille contre le glissando ou le déséquilibre. Le burlesque bien présent dans le film devient ici inquiétude, vertige, puisqu’il fait aussi trembler le monde sur se bases et trouble la réception de la pièce.

« Vers Wanda ». Photo du spectacle : Mario Del Curto

« Comment raconter une histoire ? », entend-on à l’orée de Vers Wanda qui interroge dans son intertextualité et montage de sources l’écriture dramaturgique elle-même. Au détour de la pièce, on découvre que Wanda est aussi un film documentaire, et ce n’est pas faux. Le documentaire, une forme d’expression cinématographique où l’énonciation de l’image et du récit revêt un caractère particulier dans la mesure où, bien plus souvent que dans le cadre de la fiction, la caméra et le regard, ici de la cinéaste représentent une même entité. Et le décor devient organique et sonore alors que sporadiquement des fragments charbonneux chutent des cintres comme de sonores éboulis. « Au départ, il y eut l’idée d’avoir du charbon sur tout le plateau, pour un sol mouvant, explique Marie Rémond. En d’autres termes, une scénographique qui complique les parcours et évolutions, crée des accidents et rende un brin laborieux tant les déplacements que l’entrée dans cette histoire. Ensuite, il est apparu judicieux d’avoir différents espaces permettant de focaliser sur Kazan ou la scène de la rencontre Wanda-Monsieur Denis dans le bar que ce dernier est en train de braquer. Du coup, ce tas de charbon, incarnant à mes yeux le film, bloque une entrée ou la complique singulièrement. Donner ainsi l’impression que cette montagne charbonneuse se prolonge hors champ avec ses bruits de chute de charbon. C’est aussi pour filer les propos tenus par le critique cinéma Philippe Azoury avançant que Wanda est un film qui va littéralement au charbon. »

Barbara Loden travaillait avant sa disparition sur un scénario autour d’une sorte d’Emma Bovary atteinte d’une mélancolie maladive, où le roman flaubertien file un jeu subtil de changement de point de vue. La pièce Vers Wanda, elle, semble s’inspirer lointainement de la technique de la scène que Gustave Flaubert a formellement mise au point dans Madame Bovary. Il y mêle étroitement narration, description, analyse et dialogue. Une scène envisagée comme une « symphonie », avec des motifs qui reviennent, s’effacent, s’entrelacent comme une construction architecturale.

Wanda, une femme banale

Wanda est l’un des films les plus originaux de la production indépendante étatsunienne des années 70. Il trace le portrait d’une femme de classe populaire précarisée, aux horizons intellectuels inexistants et qui refuse confusément mais avec une certaine détermination l’American Way of Life. Interrogée par le critique de la revue Positif, Michel Ciment en septembre 1970, Barbara Loden explique au sujet de l’univers minier présenté dans le film : « Quelle que soit la nature du travail, la vie est la même, que ce soit à l’usine, à la mine, ou à la ferme, c’est pareil. C’est à peu de chose près la même pauvreté spirituelle, culturelle, quotidienne. ». Née en Caroline du Nord dans les Appalaches, elle ajoute être issue de ce genre de milieu. « Disons que je suis née dans un environnement, un cadre qui n’était pas très adapté à ma sensibilité personnelle. J’ai longtemps cru que le problème venait de mon inadaptation. Puis, quand je suis partie, j’ai compris que ce n’était pas moi, mais l’endroit. Si j’étais récoltée, c’était normal et sincère. Le fait de refuser de m’y adapter a été salutaire pour moi. Wanda, bien sûr, n’a pas les mêmes capacités que moi. » Loden souligne avoir vécu, enfant, « dans un cadre sans fantaisie ». Puis avoir mené « une vie de morte-vivante pendant de longues années », jusqu’à la trentaine. « Je traversais la vie presque comme une autiste. Sans rien recevoir ni donner, parce que je devais me protéger de toutes ces forces extérieures qui venaient de mon environnement des gens autour de moi ou de cette culture qui me choquait tellement. J’étais donc très comparable à cette Wanda. » Pour le personnage de Wanda, Loden se montre d’une parfaite lucidité : « Sa seule façon de survivre est de se lier à un homme, de vivre à travers lui, à travers ses ambitions, son pouvoir et son énergie, parce qu’elle pense ne rien valoir par elle-même. C’est très fréquent chez les femmes américaines. »

« Vers Wanda ». Photo du spectacle : Mario Del Curto

A l’en croire, dans la société américaine, « les femmes n’ont d’identité que par l’homme qu’elles trouvent. » Pour Loden, Wanda est une femme d’une grande banalité. « Il s’agit de quelqu’un qui est né dans un milieu où les gens qui l’entourent sont ignorants et où personne ne peut vous éduquer ni vous guider correctement. Les valeurs sont déformées. C’est une situation très courante » tant chez les hommes que parmi les femmes. « Ils n’ont aucun but, aucun espoir. » Elle se reconnaît enfin influencée par « le cinéma-vérité français ». Le cinéma-vérité, une école de réalisation de films de l’après-guerre, adepte du réalisme le plus proche possible de la vie et dont les exemples les plus frappants sont Chronique d’un été (1961) de Jean Rouch et Le Joli Mai (1962) de Chris Marker. Parfois dénommé simplement « cinéma direct », son dessein est la capture de la réalité d’une personne, un moment ou un événement sans aucun réarrangement pour la caméra. Du côté américain et anglo-saxon, les principaux cinéastes sont Ricky Leacock (Primary, 1960), Frederick Wiseman (Titicut Follies, 1967), Donn Alan Pennebaker (Monterey Pop, 1968), et les frères Maysles (Showman, 1963).

La cinéaste et actrice cite alors A bout de souffle (1960) signé Jean-Luc Godard, œuvre emblématique de la Nouvelle vague. « Et puis il y a aussi eu les films d’Andy Warhol, parce qu’ils sont si mauvais, qu’on entend rien de ce qui se dit, le son est épouvantable, la qualité de l’image aussi. Et je me suis dit : Pas la peine de viser la perfection. J’en ai tiré une leçon. » elle avoue regarder beaucoup de documentaires et se demande, « pourquoi une histoire de fiction ne pourrait pas être traitée de la même manière. Je pense à La Bataille d’Alger. » Pour ce qui est de la structure narrative, Loden relève avoir été marquée par Zola, Céline et Maupassant. « Mon inspiration vient plus de la littérature que du cinéma. » A ses yeux, « tout ne doit pas être parfait » et il n’est pas indispensable « de tout entendre. » elle conclut : « Certains s’offusqueront de telles imperfections, mais pour moi surtout dans le type de films que j’essaie de faire, à savoir des études à caractère sociologique d’individus dans leur propre milieu, ce type de cinéma est la seule façon de procéder. Je ne cherche pas é faire des choses sophistiquées. Je suis quelqu’un de très simple. Par simple, j’entends que je ne suis ni sophistiquée ni intellectuelle. Et je ne prétends pas l’être. »

Marie Rémond le concède : « C’est un long métrage déroutant. Comme Loden avance que ce sont des personnages qui n’ont pas développé une conscience de leur situation, Barbara Loden a été avare en dialogues. Partant, nous n’avons ni l’explication de l’attitude de la protagoniste principale ni les codes de son mode de fonctionnement avec elle-même et les hommes. Cette énigme, elle a su la rendre sur la pellicule, tant le spectateur demeure parfois interloqué par ce rythme lent, tout en sachant créer chez lui un temps de retard dans la compréhension de ce qui se passe. Il existe de fait des ellipses et le regardeur ne parvient pas à saisir complètement le monde intérieur et les motivations du personnage de Wanda, qui sait demeurer une énigme. »

Sur le plateau, la mise en scène de Vers Wanda a l’intelligence d’enrichir le film de nombreuses facettes de l’actrice et cinéaste Barbara Loden, qui ne se réduit pas au rôle d’une femme prétendant ne rien valoir et être stupide auquel elle s’identifie parfaitement dans Wanda. On découvre ainsi une femme passionnée, déterminée, sèche, rageuse, « sauvage, originale, insolente et persifleuse », comme l’a décrite dans son autobiographie, Elia Kazan, jaloux du succès de Wanda au Festival de Venise en 1971 (Prix de la critique) et prompt à mettre aussi sa vie en abyme dans son cinéma.


Vers Wanda. Théâtre de Vidy. Jusqu’au 29 septembre. Rens. : www.vidy.ch et tournée. Théâtre La Colline, Paris, du 4 au 26 octobre 2013. Rens. : www.colline.fr

(Photos du spectacle : Mario del Curto)