Les coopératives agricoles autogérées Longo maï marquent leur quarantième anniversaire par une exposition présentée à Bâle et Genève.
C’est en 1973 qu’une trentaine
de Suisses, Autrichiens et
Français ont fondé la coopérative
Longo maï (« longue vie » en provençal)
en reprenant trois fermes
abandonnées de Limans dans les
Alpes-de-Haute-Provence. La coopérative
se voulait et se veut encore un
contre-projet à l’exploitation capitaliste.
Actuellement, près de 200 personnes
vivent sur un pied d’égalité
dans six pays et dix coopératives différentes
basées sur l’agriculture
comme moyen de subsistance.
Depuis le début, les coopératives
appliquent une multitude de processus
de démocratie de base définissant
le cadre de la vie quotidienne sur la
base de principes autogestionnaires.
Les membres de Longo maï ne se versent
pas de salaires et toutes les décisions
se prennent par la démocratie
directe. Il n’y a pas de vote au sein des
coopératives.
Le système économique de Longo
maï se différencie profondément de
l’économie de marché. Ses membres
prennent en charge ensemble les
dépenses nécessaires à leurs besoins
quotidiens. La rentabilité au sens classique
n’a jamais été recherchée. Avec
des forces humaines et l’aide de ressources
du sol, de l’eau et du soleil, les
coopératives produisent des aliments
et des biens durables.
Longo maï est aussi une coopérative
active en politique. Elle participe
et organise actuellement des actions
pour maintenir le droit des petits producteurs
à utiliser leurs propres
semences contre la mainmise des
firmes à vocation industrielle. En collaboration
avec le Forum Civique
Européen, elle a organisé une campagne
de sensibilisation sur le sort des
nombreux travailleurs agricoles d’origine
africaine qui sont employés dans
les plantations de légumes et de fruits
en Andalousie.
Une exposition itinérante retrace
ces 40 ans d’engagement. La première
étape est prévue à Bâle, ville dans
laquelle Longo maï à son centre administratif,
puis à Genève en décembre.
Dans une brochure, la coopérative
relate les points fondamentaux de sa
philosophie, de sa pratique, de ses succès
et difficultés. Les chapitres évoquent
différents thèmes parmi lesquels
nous citerons une économie reposant
sur le relationnel ou l’apprentissage
d’une économie morale. Des textes
sont repris et nous en retiendrons
deux, de Denis de Rougemont et Friedrich
Dürrenmatt, qui nous ont particulièrement
intéressés.
Le texte de Denis de Rougemont
date de 1977. Le philosophe décrit la
coopérative de Longo maï comme un
enracinement local et une mobilité à
travers toutes les frontières dites nationales
selon une « formule dynamique
du fédéralisme intégral (qui) trouve ici
sa première expression spontanée ».
Pour Denis de Rougemont, il s’agit du
« premier élément d’une fédération de
“communautés ouvertes“, dispersées
sur le continent mais reliées par un
même esprit de rénovation de l’Europe
à partir des régions ». Le texte précise
que « participer à la communauté n’est
pas la nostalgie de quelques marginaux,
mais un besoin fondamental de
l’homme. La frustration systématique
de ce besoin a commencé avec l’urbanisation
sauvage de l’ère industrielle, le
dépeuplement des paroisses, la destruction
des voisinages au profit de la
promiscuité physique et de l’isolement
moral des banlieues noires ». Pour le
philosophe, il s’agit de « recréer une
communauté où l’homme puisse
recouvrer la dimension civique sans
laquelle il n’est pas une vraie personne,
tel est le problème central de notre
temps ». Membre de Longo maï depuis
1982, Caroline Meijers actualise les
propos de Rougemont et constate
qu’aujourd’hui « l’individu est démuni
face aux décisions qui concernent sa
vie », « il est à la merci de ses supérieurs
ou de la pression des prix » : « C’est l’individualisation
galopante, l’homme
aliéné par son travail et ses semblables,
comme le décrit si bien Karl Marx. »
Les propos de Friedrich Dürrenmatt
sont repris d’un discours au banquet
républicain de Longo maï le 1er
août 1986 : « Aujourd’hui nous ne
sommes plus capables de former des
républiques véritables. Les Etats se ressemblent
beaucoup plus que ce qu’on
peut croire. Qui détient le pouvoir ? Ce
sont ceux qui l’ont acquis. Parfois on
les voit, parfois on entrevoit seulement
un petit bout de l’iceberg. La démocratie
a trouvé une combine pour occulter
le pouvoir. Nous ne connaissons
pas le bilan du combat pour l’avenir de
l’humanité. Selon l’opinion du penseur,
il sera amer. Mais je pense qu’il est
important de semer… Et Longo maï
sème. »
Peut-être qu’un jour l’humanité
remerciera Longo maï pour avoir
semer le bon grain avant qu’il ne soit
trop tard. Pour le moment, la visite de
l’exposition et la lecture de la brochure
représentent un vivifiant intérêt dont
nous avons bien besoin face à l’arrogance
des puissants !
Exposition « L’utopie des indociles. Longo
maï 40 ans » du 19 octobre au 2 novembre au
Ackermannshof de Bâle puis du 3 au 21
décembre à la Maison des Arts du Grütli
(Genève). Programme et infos sur www.prolongomaif.
ch